Passionnément, nous y pensions...
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Comme nombre de mes congénères, j’amasse, j’entasse, j’accumule, je stocke, je collecte, je rassemble, je compile et je classe. En un mot : j’archive ! Certains collectionnent les papillons, les fleurs sauvages, les capsules de bière ou les boites d’allumettes. J’ai longtemps et avec plaisir pratiqué la philatélie. Depuis l’âge adulte, j’accumule des papiers. « Il y a peu d’événements qui ne laissent au moins une trace écrite. Presque tout, à un moment ou à un autre, passe par une feuille de papier » écrit (dans Espèces d’espaces) l’ami Georges Perec qui, en matière de listes et d’inventaires, est incontestablement LE grand spécialiste.
Plus modestement, je suis l’archiviste d’une collection qui doit avoisiner les cinq cents unités – je fais ici un rapide calcul de tête, ne les ayant finalement jamais comptés. Rangés dans des boîtes d’archives, ces « petits papiers » sont classés chronologiquement par année. C’est un ensemble de feuilles aux dimensions variables. Les plus anciennes ont un format réduit : 7, 6 cm de large sur 25,5 cm de long. D’autres ont été découpées par quatre à partir d’une feuille ordinaire (elles mesurent plus ou moins 10 cm sur 15 en fonction de la dextérité de la personne qui tenait la paire de ciseaux). Les plus grandes ont une forme carrée de 28 cm de côté. Comme tout objet manufacturé dans nos contrées d’abondance, les plus récentes ont subi l’implacable loi de la normalisation et elles adoptent le format américain A4 : 21 cm de large sur 29,7 cm de long.
Fin papier quasi translucide, papier grossier au grain épais, simple papier standard, feuille arrachée à un bloc par son sommet ou perforée de nombreux trous à sa base, papier carbone au dos noir ou papier épais au verso coloré, ils ont tous fière allure. Blancs pour la plupart, quelques-uns se distinguent par leur couleur : vert clair ou bleu. Quelques fois bicolores, dans ce cas : vert et gris. Parfois, ils accumulent les lignes ; l’un d’entre eux en possède vingt-neuf qu’il dénombre et numérote à plaisir. D’autres mettent en avant leurs colonnes. Sur certains, réduits au minimum syndical, quelques mots suivis de points alignés se terminent par un chiffre écrit à la main. D’autres encore mettent en avant un cadre standardisé au sein duquel quelques signes distinctifs sont manuellement ajoutés. Sur quelques-uns, un cachet a laissé sa marque colorée. Il est aisé d’identifier leur ancienneté à partir de leur mode de fabrication. Voyez celui-ci, parmi les plus anciens, entièrement fait main. Et cette feuille-là, tapée sur une antique machine à écrire. Sur ces documents plus récents, l’ordinateur a pris l’ascendant, avec ici une imprimante à aiguilles, là une imprimante à jet d’encre, avant que le laser ne les fabrique à la pelle, tous sur le même modèle...
Ces petits papiers mesurent le temps aussi efficacement que les horloges. Davantage même si l’on prend en compte le fait qu’ils laissent, du temps passé, une indélébile trace. Ils remplissent, pour les adultes, la même fonction que les « bons points » que l’on donnait aux enfants sages. Implacables, chacun d’eux restitue un souvenir enfoui et fait revivre une ancienne émotion : l’appréhension de l’avant, la peur du premier instant, la joie de la découverte, la plénitude du geste créatif, le charme d’une rencontre, la satisfaction de la tâche accomplie, l’insupportable habitude ou le profond ennui, quand ça n’est pas le plaisir enfantin de l’école buissonnière. Ces bouts de papier résument des pans entiers de nos vies. Il y a peu, j’ai cessé la compulsion de leur accumulation et n’aurais pas remis le nez dans mes petits papiers si des caisses de retraite ne m’avaient demandé, avec une certaine insistance, de leur fournir « par retour de courrier », la copie de mes anciens bulletins de salaire.
Le calcul de ma retraite a été réalisé sur le mode actuel. Facile à comprendre pour le régime de base, calculé sur les 25 meilleures années, il est fonction (comme dans le projet de réforme) d’un nombre de points accumulés pour le calcul des régimes complémentaires. Et là, c’est beaucoup moins évident de s’y retrouver.
Le projet de réforme prévoyait que le point serait indexé sur l’évolution globale des salaires. Finalement, les députés ont découvert lors de l’examen du projet de loi que ce point serait fonction d’un indicateur aujourd’hui inexistant. L’intersyndicale de l’INSEE, organisme indépendant que le Gouvernement a mandaté pour élaborer cet indicateur, estime que « l’institut n’a pas à répondre aux commandes du Gouvernement lorsque celles-ci portent sur un indicateur central dans un projet de loi contesté ». Lequel institut vient de publier une étude démontrant que le système actuel de retraite a tendance à réduire les inégalités de revenus et à limiter la pauvreté. Pas mal pour un système que quelques-uns voudraient réformer de toute urgence...
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