Le sens de l’(H)histoire... ! ?

lundi 12 juin 2017
par  Christian LEJOSNE
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L’affiche est jolie : elle représente une mer étale où voguent de petites embarcations formant de minuscules points d’exclamation blancs sur un aplat de bleu intense ; au premier plan et à l’horizon, des rochers, la terre. Le titre de la manifestation est prometteur : Fils de l’(H)histoire. Ce septième séminaire annuel du diplôme universitaire d’animateur d’ateliers d’écriture, co-organisé par l’Université Paul Valéry 3 et la Boutique d’écriture de Montpellier, offre un avant-goût attrayant de la Comédie du livre ayant cette année pour thème la Méditerranée.

Marie Bourjea, la responsable du DU, ouvre la séance en décryptant l’intitulé du séminaire : Fils de l’(H)histoire, parcouru, selon elle, par deux ambiguïtés. D’abord, « fils » peut se comprendre de deux façons, phonétiquement différentes, que seule la prononciation permet de distinguer : au singulier, cela pourrait signifier dans un cas « fil de l’Histoire », et dans l’autre « fils de l’Histoire ». Prolongeant pour moi-même cette idée de fil, je visualise une marionnette avec, derrière elle, son marionnettiste fantasmé (homme politique, puissance économique ou pouvoirs occultes...), mais le fil peut tout aussi bien évoquer la solidarité, les liens unissant entre eux les vivants... et aussi, pourquoi pas, les morts. La seconde ambiguïté, reprend Marie Bourjea, porte sur la façon d’écrire l’(H)histoire, avec un grand ou un petit « h » ; la grande Histoire représentant celle des faits supposés objectifs, la petite, celle du récit, de la subjectivité du sujet...

L’intervention de Juliette Massat, professeur de Lettres et d’Histoire et animatrice d’ateliers d’écriture vient compléter ce tableau. En préambule, elle pose ces deux affirmations : on raconte des histoires ; on entre dans l’Histoire. Saisissez la nuance ! Quelle est la réalité des petites histoires au regard de l’Histoire ? questionne-t-elle. La différence de lettre (minuscule ou majuscule) exprimerait-elle une différence sur le fond ? Autrement dit, les petites lettres (que les humains s’écrivent) et qui constituent aujourd’hui une part des Archives, ne sont-elles pas une autre façon d’écrire l’Histoire ? L’Histoire s’attache au passé mais s’écrit au présent. L’histoire prend du temps... J’ai noté, mais dois-je faire confiance à ma prise de notes ? « L’Histoire est à double tranchant »... et cela m’a fait penser à Georges Perec écrivant L’Histoire avec sa grande hache. Juliette Massat termine son intervention par la langue appartient à tout le monde ; l’Histoire également. L’Histoire est une reconstruction. Elle est écriture. Mais qui l’écrit ? Et là encore me revient ce proverbe africain : « Tant que les lions n’auront pas leur historien, les histoires ne valoriseront que les chasseurs ».

Ali Zamir est un auteur comorien qui a du remiser son manuscrit pendant plus de dix ans, faute de trouver un éditeur. Les éditions du Tripode ont eu raison de le publier en 2016, car Anguille sous roche a reçu le Prix Senghor. Ce roman relate la situation d’une jeune femme comorienne en route pour l’émigration vers Mayotte. En vain. Tombée à la mer, elle repense à sa vie, à ses proches. Stéphane Page, animateur d’ateliers d’écriture, le résume ainsi : une longue phrase de 320 pages, sans point, uniquement ponctuée de virgules, telle une urgence à dire, avant qu’il ne soit trop tard. Un monologue polyphonique mêlant les genres : récit, poésie, théâtre, livre d’Histoire. Ali Zamir dit avoir écrit ce livre pour rendre hommage aux migrants, à tous les migrants du monde, pour donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. La grande Histoire oublie les petites histoires, celles des victimes qui disparaissent dans le silence.

Odette Martinez (Maître de conférence en études ibériques) et Alfons Cervera (journaliste, écrivain, auteur de romans centrés sur la thématique du souvenir de la guerre d’Espagne) sont venus dire l’importance des écrits personnels dans la construction du passé et des identités, en tant que contre-point indispensables aux discours officiels de la dictature franquiste. Selon Odette Martinez, ces écrits portent plusieurs enjeux : enjeu d’attestation pour laisser trace de ces vies minuscules (pour paraphraser Pierre Michon), enjeu de réparation, enjeu politique (prendre sa part dans le partage des images et des mots qui façonnent l’espace public). En conclusion, Alfons Cervera rappela ces mots de Primo Lévy : « Se souvenir est un devoir  ».

Yahia Belaskri est un romancier, nouvelliste et essayiste, né à Oran, qui a du quitter l’Algérie après les émeutes de 1988 pour venir s’installer en France. Selon lui, la Grande Histoire est faite par les vainqueurs, pas par les vaincus. Il se dit fils de l’humiliation et du tumulte et conçoit son rôle d’écrivain pour pervertir l’Histoire. Il se dit également bâtard des femmes et des hommes qui sont passés sur cette terre avant lui. Il écrit en français (je suis français depuis 1830 précise-t-il), parle de lui avec humilité. Il dit être venu à la littérature grâce à sa mère. Quand ma mère est morte, j’ai écrit mon premier texte. Cette mère qui m’a fait naître deux fois !  Il dit écrire pour faire reculer l’obscurité. Et la chaleur de ces mots sont une enrichissante synthèse de cette journée d’étude.

Christian LEJOSNE

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Voir également Voici le monde L’ avant-propos de Chemins et mémoires


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