J’écris au bras du temps
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Il faut que je vous parle du dernier livre d’Alain REMOND. Alain REMOND, j’aime ses écrits depuis longtemps.
Chaque semaine, c’était pour moi un véritable bonheur de lire sa chronique dans Télérama. Je déchirais l’enveloppe plastifiée de ce magazine télé, le feuilletais rapidement jusqu’à l’avant dernière page où je m’arrêtais pour y lire à voix basse, en prenant le temps de bien la digérer, Mon œil, la chronique qu’il rédigeait. C’est en juillet 2002 qu’il annonçait que cette chronique serait la dernière. « Parce que vous et moi, dans Télérama, c’est fini. C’est la dernière fois que je vous écris. C’est ma dernière chronique. Voilà, c’est ainsi : un jour on doit partir. » Voilà ce que je lisais dans Télérama, en ressentant comme un coup de couteau dans mon ventre. Comme un grand vide qui s’installait, irrémédiablement. Il y a en moi, un avant et un après juillet 2002. Ca fait peut-être un peu pompeux de dire cela, d’oser écrire cela, mais c’est la pure vérité. Ce que je vais vous dire maintenant va sans doute paraître prétentieux, mais c’est ainsi : l’existence de cette chronique, la chronique de l’air du temps, que vous avez actuellement en main, est intimement liée à la fin de Mon œil, la chronique qu’Alain REMOND écrivait dans Télérama ; la chronique de l’air du temps était pour moi comme une manière de prolonger, par mon écriture, ce que je ne pouvais plus lire dans mon magazine télé. En toute modestie. En toute simplicité. Sans chercher la comparaison.
Et puis, un jour je me suis souvenu qu’Alain REMOND avait également écrit des livres. J’ai emprunté à la Médiathèque Chaque jour est un adieu (1) et l’ai lu d’une traite. Je retrouvais son écriture, son style, sa façon bien à lui de rire de choses graves, de dire en toute simplicité des mots qui vont droit au cœur, de parler des choses de la vie avec ses mots à lui qui sont les mots de tous les jours, mais qui sonnent si vrais, si justes, si forts. Cependant, dans ce livre, il ne racontait plus la vie des autres, ceux qu’il voyait derrière son écran de télé comme il l’écrivait dans ses chroniques. Il parlait de lui, de sa vie, de son enfance, de ses parents, de ses frères et sœurs. Et ce récit de vie unique prenait, avec ses mots à lui, une dimension universelle. Dans la foulée, j’ai lu ses deux récits suivants Un jeune homme est passé et Comme une chanson dans la nuit (2). Et puis ensuite, plus rien, le vide. Le sevrage de REMOND. Il allait falloir que je m’y habitue. Je me faisais de temps en temps une piqûre de rappel en offrant ses livres autour de moi. Il y a peu, j’offrais ses trois récits, emballés ensemble, à ma mère pour son anniversaire.
Dernièrement, je découvre qu’un quatrième récit est paru, Je marche au bras du temps (3) dont j’ai terminé la lecture, hier soir. C’est un petit livre de quatre vingt quinze pages, qui se lit rapidement. J’avais pourtant eu envie de faire durer le plaisir. Une fois acheté, je l’avais posé dans ma bibliothèque, avec l’idée de le laisser un peu là, de savourer le plaisir du désir de l’attente de le lire. Malheureusement, j’ai vite craqué. Le soir même, je le prenais, m’asseyais dans le canapé, lisais la quatrième de couverture, tournais les pages, commençais sa lecture. Je m’accordais un chapitre, pour le plaisir. Puis, je l’ai posé sur ma table de chevet. Deux soirs plus tard, le livre était terminé. Mais j’en ai encore plein la bouche, plein la tête. En fait, je n’ai pas vraiment envie de vous parler de ce livre, de vous le détailler. A dix euros, vous pouvez bien vous l’offrir, c’est un joli cadeau à vous faire. Je dirai simplement que dans ce récit, Alain REMOND se demande ce que veut dire raconter sa vie dans un livre. Et cette question me renvoie inexorablement à mes propres questions : pourquoi ai-je moi aussi raconté mon enfance et celle de mon père dans une sorte de récit à deux voix (4) ? Et pourquoi, mois après mois, j’écris cette chronique comme on écrit un journal intime, en posant les questions qui me viennent, au fur et à mesure qu’elles me viennent, dans un ordre décousu, dans savoir de quoi demain sera fait et ce qu’il me sera offert d’écrire dans la chronique du mois suivant. Comme un perpétuel examen de conscience. Une sorte d’hygiène de vie. Un sport de combat.
Avant de vous quitter, je dois vous faire un dernier aveu : en écrivant la phrase précédente, j’ai tapé, sur le clavier de mon ordinateur, un joli lapsus. Initialement, j’avais écrit mois après moi. Quoi de plus logique pour la chronique de l’air du temps !
Christian LEJOSNE
(1) Editions du Seuil – 2000
(2) Editions du Seuil – 2002 et 2003
(3) Editions du Seuil – 2006
(4) Le fil – 2005, disponible sur simple demande à c.lejosne@free.fr