Braquages en série noire

mardi 6 novembre 2007
par  Christian LEJOSNE
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J’avais prévu un plan d’enfer. Un road-movie littéraire passant par les librairies des principales villes de France. De quoi réunir la majeure partie de l’édition de son dernier livre. Pour faire diversion face aux flics, j’avais prévu des leurres : entartrer le dernier opus de BHL, faire hara-kiri au dernier ouvrage d’Amélie Nothomb ou encore réunir en tas tous les bouquins parlant de Sarko et y mettre le feu, façon Fahrenheit 451. Pour qu’il sache que c’était moi, j’aurais laissé chaque fois un message codé, que lui seul pouvait identifier.

« Putain de lundi » (1) tagué sur la vitrine de la librairie, avant de partir en courant, la pile de livres sous le bras, me noyant dans la foule anonyme. Ou bien encore, faire livrer des fleurs pour Jean Jaurès (2) à l’adresse de la librairie que je venais de dévaliser. A force, les flics, même s’ils ne sont pas lecteurs, aurait fini par remonter jusqu’à son dernier éditeur, Ravet-Anceau, s’étonnant qu’à chaque braquage de librairie, c’était en final une vingtaine d’exemplaires de son dernier livre qui disparaissait. Je comptais sur le fait que l’éditeur se décide à l’appeler : « Monsieur Willi, on a un problème, quelqu’un vole systématiquement votre dernier livre. Vous avez pas une idée, vous qui écrivez des polars, sur l’identité de ce détraqué ? » Sûr qu’il ne pouvait alors que penser à moi, une fois mis au parfum des indices délibérément laissés sur mon passage. On n’efface pas son passé d’un trait de plume. J’avais fait le calcul : trente sept ans et demi que l’on s’était rencontré pour la première fois sur les bancs du collège. Même sans régimes spéciaux, on était proche de la retraite, avec ou sans l’accord de Fillon. A l’époque, il dessinait déjà des plans de bateaux pendant que je gravais « Amour-anarchie » sur le plateau de bois de la table que nous partagions au fond d’une salle de classe, près du radiateur qui maintient les cancres au chaud dans l’espoir de les anesthésier tout à fait. Nos échanges se renforçaient quand on se retrouvait aux beaux jours sous l’ombre du même platane, dans le parc à côté du lycée. Nous refaisions le monde, rêvions d’avenir, préparions nos armes pour les prochains combats. On découvrait l’écologie en écoutant en boucle Echoes des Pink Floyd, faisions la nique à la vieille droite en bombant ses publicités électorales. On s’échangeait des bribes de vie au point que je ne sais plus bien qui apportait quoi à l’autre : La gueule ouverte qui était le premier journal écolo édité en France, les premières clopes, premiers pétards, premières nanas, premières embrouilles, premières vacances comme des grands, à bivouaquer dans les Cévennes, sac au dos et sans tente. Premiers boulots aussi. Et puis nos vies ont bifurqué, ou plutôt je me suis enlisé tandis qu’il continuait sa route : trente six métiers, trente sept misères, deux voiliers, deux livres édités, beaucoup d’autres au fond d’un tiroir, des kyrielles de tableaux prêts pour la prochaine expo. Mais là, je tenais ma vengeance : l’exclusivité sur son dernier bouquin ! Mon plan était imparable. Une fois en possession du stock, quelques milliers de livres, j’en ferai une inclusion sous résine et m’en servirai de pied de table. Dessus, j’y poserai une épaisse plaque de verre. J’aurai tout le loisir de découvrir sa dernière livraison.

Enfin ! C’est ce que je croyais, jusqu’à ce que mon chef me refuse les congés que j’avais posés. Mon projet de braquages prenait l’eau… A moins que … A moins que, cher lecteur, tu ne me viennes en aide. Ces hold-up c’est toi qui les fera. Le plus tranquillement du monde, tu iras chez ton libraire habituel, tu lui demanderas poliment le dernier Pierre WILLI « Braquage à Fives » (3) ça s’appelle. A la caisse, tu sortiras calmement de ta poche les onze euros demandés, en posant sur le comptoir tes mains bien visibles. Tu pourras même en acheter plusieurs, les offrir à tes ami(e)s, aux passants, à ton patron, ton ou ta fiancée, au journaliste chargé des faits divers dans ton journal local. J’imagine la tête qu’il fera, mon ami Pierre, quand l’éditeur l’appellera pour lui dire : « Monsieur Willi, on a un problème, il va falloir qu’on réédite votre dernier polar. »

PS : Pierre WILLI n’est pas un personnage de fiction. C’est vraiment mon pote et son dernier livre Braquage à Fives est en librairie depuis début novembre.

(1) Putain de dimanche est le titre du livre de Pierre WILLI paru chez Gallimard à la Série noire (n° 2545- 1999)
(2) Les fleurs de Jean Jaurès est le premier roman de Pierre WILLI. Il a obtenu le prix « A la découverte d’un écrivain du Nord-Pas de Calais » en 1996. Edition La main à la plume.
(3) Braquage à Fives de Pierre WILLI, édition du Ravet-Anceau – 2007.


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