La sauge bleutée de nos encriers
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Je l’avais proposé à une amie qui cherchait un atelier d’écriture, mais elle n’était pas libre à cette période. « Pourquoi n’y vas-tu pas, toi ? Le lieu a l’air tellement agréable » m’avait-elle répondu. J’avais trouvé son argument de bon sens et je me suis inscrit. Un atelier d’écriture de quatre jours, dans un gîte perdu au fond du Périgord noir. Ce fut un vrai dépaysement ! Une belle occasion de rencontres insolites, d’échanges intenses, de créativité partagée, de découvertes… Le tout encadré par la délicatesse de Nicole, animatrice de l’atelier, et Bénédicte, souriante hôtesse d’un lieu merveilleux. Quelques extraits de mes textes pour tenter de vous faire partager mon plaisir :
Prénoms
D’où viens-je ? Du ventre de ma mère. Ca n’est pas très original ni très distinctif. Quoique ! Je ne vais pas ici remonter dans l’arbre généalogique familial. En dix lignes, il aurait l’air d’un bonsaï et ça ne rendrait pas hommage à mes ancêtres, grâce auxquels je suis ici ! Au fait, ma mère s’appelle Renée. Mon père – qui est également responsable - Emile. J’ai failli m’appeler Philippe. Ma tante, qui était enceinte en même temps que ma mère, avait choisi le même prénom. Ma mère céda la première. On m’appela Christian. Ma tante accoucha d’une fille. Dans la famille on fit une croix sur Philippe. Moi aussi je porte une croix sur mon prénom : Christian. Ma famille n’était pourtant pas spécialement chrétienne. Pas tout à fait catholique non plus … Mes autres prénoms sont Denis – en référence à ma tante Denise, que j’ai vu deux fois dans ma vie – et Gilles, de dix ans mon frère aîné, avec qui j’ai échangé davantage de coups de pied que de baisers. Trois prénoms mal assortis … qui poussent lentement vers la sortie.
Je suis né en criant, probablement. C’est sans doute des couches aux fesses que j’ai fait mes premiers pas. Quatre pattes n’étaient pas de trop, avant que je ne relève la tête. Maternelle, l’école le fut-elle vraiment ? Primaire fut le temps des retenues ! C’est au collège que j’ai découvert l’école buissonnière. Le lycée me donna l’envie … d’aller travailler. Trente ans. Trente ans que je me lève pour aller pointer. Et pas le nez vers le ciel pour décider ce que
je fais de ma journée. Cinquante ans bientôt dans les lattes. Qu’ai-je fait de toutes ces années ?
Noir et blanc
J’écris à l’encre blanche le son mat des pas dans la neige
Le cri de la craie quand elle décrit l’absence
Les nuages qui cachent mon soleil
L’écran laiteux de ma vieillesse
Le mur nu où toujours je me cogne
J’écris à l’encre noire l’espoir en berne dans ma poitrine
Les regrets de mes nuits étoilées
Le mystère qui peuple l’univers
Les trous, les vides, le froid, la terre
L’univers qui peuple le mystère
Encre bleue
Il y a cette nature qui entoure nos pensées
De la sauge bleutée illuminant nos idées
Des amis de quatre jours que je ne suis pas prêt d’oublier
Qui ont ouvert leurs cœurs et partagé leurs intérieurs
Il y a des papiers griffonnés sur la table de l’atelier
Des papiers imprimés pour ne pas oublier
Des papiers de couleur pour surpasser la douleur
Il y a mon cahier où s’écrit un bout de ma vie
Des ribambelles de textes courts venus du fond de ma cour
Il y a des mots inventés pour se moquer du Larousse
Des crayons, des trousses, et même une souris en mousse
Il y a des moments magiques, drôles, émouvants, grinçants
Des histoires collectives, des comptines réactives
Des instants d’émotions autour de nos prénoms
Des écrits de colère … pour ce qu’on n’a pas su faire
Il y a de la sauge bleutée au fond de nos encriers.
Christian LEJOSNE
Retrouvez les textes des participants de cet atelier d’écriture dans la rubrique "Atelier d’écriture en Dordogne"