Susciter de l’espoir

lundi 13 mai 2024
par  Christian LEJOSNE
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Rami Elhanan et Bassam Aramin ont tous deux perdu une fille dans le conflit qui oppose Israël et Palestine. Passé le choc de la douleur, les souvenirs, le deuil, ils ont eu l’envie que d’autres vies soient épargnées. Nés pour se haïr, ils ont fait le pari de la rencontre et ont décidé de raconter leur histoire. De la raconter au monde entier. Et de se battre pour la paix. Dans le livre Apeirogon (1), Colum McCann relate leurs deux histoires qui finissent par n’en plus faire qu’une. Ce livre est sorti en 2020. Je viens de le lire et me demande comment Rami et Bassam vivent depuis le 7 octobre 2023. Parler d’eux qui luttent pour la paix en s’opposant à l’extrémisme de leurs dirigeants est bien le moins que l’on puisse faire aujourd’hui.

Abir était âgée de dix ans
Abir, la fille de Bassam, portait son uniforme d’écolière quand elle traversa la rue, pour rejoindre son école, en sortant de la boutique où elle venait d’acheter des bonbons. Tout était calme quand une jeep de l’armée israélienne déboula dans la rue. Une balle en caoutchouc atteignit Abir à l’arrière de la tête. Elle mourut quelques heures plus tard. Le garde-frontière, qui tira la balle avait dix-huit ans. Pendant des années, Bassam garda, dans la poche de sa veste, le collier de bonbons qu’il avait retrouvé dans le cartable de sa fille. Avec l’Occupation, Bassam a connu toutes les humiliations : le village de son enfance détruit sous ses yeux, les interminables arrêts aux check-points, les fouilles où on lui demandait de retirer tous ses vêtements, la prison, la faim, les coups, les brimades, la peur, la dégradation quotidienne. Quand il rejoignit le groupe des militants pour la paix, composé d’Israéliens et de Palestiniens, Bassam se rendit compte que leur seul point commun était que tous avaient, un jour, voulu tuer des gens qu’ils ne connaissaient pas. C’est là qu’il fit la connaissance de Rami qui devint son ami. Tous deux font des conférences pour la paix partout dans le monde. Bassam parle à tous. Il est prêt à tout. On lui a déjà infligé le pire. «  Mon nom est Bassam Aramin, je suis le père d’Abir. Je suis un Palestinien, un musulman, un Arabe. J’ai quarante-huit ans. Autrefois, je pensais qu’on ne pourrait jamais régler notre conflit, qu’on se haïrait indéfiniment, mais nulle part il est écrit qu’on doive continuer de s’entre-tuer. Le héros fait de son ennemi un ami. C’est ça, mon devoir. Ne me remerciez pas. Ce n’est que ça : mon devoir. Quand ils ont tué ma fille, ils ont tué ma peur.  » Au-dessus de son bureau, Bassam a affiché cette phrase du poète persan Rumi : Hier j’étais intelligent, et je voulais changer le monde. Aujourd’hui je suis sage, et j’ai commencé à me changer moi-même.

Smadar avait treize ans
Sept autres personnes trouvèrent la mort en même temps que Smadar, la fille de Rami, lors d’un attentat suicide dans Ben Yehuda Street, où trois terroristes palestiniens se firent sautés. Une vingtaine de personnes furent blessées. « Mon nom est Rami Elhanan. Je suis le père de Smadar. Je suis un graphiste de soixante-sept ans, un Israélien, un juif, un Jérusalémite de la septième génération. Et aussi ce qu’on pourrait appeler un diplômé de l’Holocauste. Il y a longtemps, j’ai tué des gens à la guerre. A distance, comme dans un jeu vidéo. J’ai tenu un fusil. J’ai conduit des chars. J’ai fait trois guerres. J’ai survécu. Et la vérité, l’horrible vérité, c’est que les Arabes n’étaient que des objets pour moi, lointains, abstraits, insignifiants. » Rami a cru qu’il pourrait continuer à vivre sa vie, à faire comme s’il ne s’était rien passé. Puis, au bout d’un certain temps, il s’est demandé si tuer quelqu’un lui ramènerait sa fille ? Il a alors rejoint le groupe de militants pour la paix. « Personne ne peut m’écouter et rester le même. Le désespoir n’est pas un plan d’action. C’est une tâche digne de Sisyphe que de susciter de l’espoir. On doit mettre fin à l’Occupation avant de nous asseoir tous ensemble pour régler le problème. Aucun peuple ne peut dominer un autre peuple et obtenir la paix et la sécurité. L’Occupation n’est ni juste ni soutenable. Et être contre l’Occupation n’est en aucun cas une forme d’antisémitisme.  »

Christian Lejosne

(1) Belfond, 2020, puis chez 10/18 en 2022. Les phrases en italiques sont extraites de ce livre.

Les médias internationaux parlent peu de ces initiatives pour la paix. Un magazine indépendant, réunissant des journalistes israéliens et palestiniens, existe. Vous pouvez le lire gratuitement sur Internet : https://www.972mag.com/


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