Le livre de la métamorphose
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Avec ’’Changer : méthode’’, Édouard Louis boucle un cycle de cinq récits autobiographiques (1) commencé en 2014 avec ’’Pour en finir avec Eddy Bellegueule’’. Sept années d’une trajectoire tout sauf linéaire, discontinue, fragmentée, pleine de ruptures, permettent, bon an mal an, à l’auteur de prendre place dans ce que l’on appelle l’ascenseur social. Né dans une famille ouvrière du nord de la France, pauvre et rurale, l’auteur franchit la frontière invisible le menant à la classe moyenne d’une ville de province (Amiens) puis à Paris où il se croit (pour un temps) parvenu au sommet du monde. Un parcours atypique de transfuge de classe et d’homosexualité progressivement assumée qu’il cherche à décrypter à travers ce livre. Pour gravir les différents échelons de la société, il utilise chaque fois la même méthode : le mimétisme pour tenter de s’adapter ; puis, faute d’y parvenir, la fuite vers d’autres contrées. Allant jusqu’à se perdre tout à fait. Pour se trouver enfin ?
L’imitation ou la fuite
Dans Éloge de la fuite (2), Henri Laborit explique que, face à un environnement mettant en danger son intégrité, l’homme dispose de trois manières d’agir : la violence contre l’agresseur, l’inhibition de l’action ou la fuite. Avant de prendre la fuite, Édouard Louis en a, à chaque fois, tenté une quatrième : l’imitation. Il a d’abord cherché à ressembler aux hommes de son village : faire du foot, se saouler avec la bande de ’’copains’’, forcer sa voix pour qu’elle paraisse plus grave, corriger ses gestes qu’on dit efféminés, tenter de devenir un dur, séduire et embrasser les filles (alors que cela le dégoûte)... Chaque jour était une déchirure. On ne change pas si facilement. Je n’étais pas le dur que je voulais être. On le voit ensuite faire des efforts démesurés pour s’approprier les codes de la famille bourgeoise qui l’a pris sous son aile : il change son vocabulaire, sa façon de parler, de faire des gestes, de se tenir à table... Une totale mutation s’opère en lui : il fallait inverser tout ce que j’avais appris. Ne plus regarder la télévision à table mais au contraire raconter sa journée, exposer ses idées, manger modérément des plats raffinés et non gras, prendre soin de son corps qui doit rester svelte... De même, lorsqu’il arrive à Paris et se trouve confronté à la grande bourgeoisie et à l’aristocratie. Dans les restaurants gays où il s’invite, il lui faut, encore une fois, recommencer sa métamorphose. Il se cultive, change de nom et de prénom, se fait soigner les dents, redessiner son implantation capillaire, change sa façon de se vêtir : j’étais devenu un bourgeois, j’en avais l’existence, presque l’apparence. Il veut rencontrer quelqu’un d’important auprès de qui se faire adopter (au sens propre du terme, puisqu’il va jusqu’à demander à un grand bourgeois s’il peut devenir son fils ; S’il avait accepté, je serais allé plus loin que n’importe qui dans la métamorphose). Là encore, l’aventure tourne court. Difficile pour un transfuge de se faire accepter dans un monde qui n’est pas le sien, dont il méconnaît les codes et où, fatalement, on finit par le démasquer et par s’en démarquer.
Se sauver sans fuir
Ne reste plus, alors, qu’une solution : se trouver soi-même. Ça sera par l’écriture (toujours par mimétisme, cette fois avec Didier Éribon, l’auteur de Retour à Reims (3), qu’il découvre lors d’une conférence). Changer : méthode se termine sur la parution de son premier livre. La boucle est bouclée. Dans ses livres suivants, il réhabilitera son père (Qui a tué mon père) et sa mère (Combats et métamorphoses d’une femme). Édouard Louis s’est mis à aimer sincèrement la littérature, à écrire non plus pour me sauver moi mais pour essayer d’aider les autres, à vouloir écrire des livres qui soient des armes pour les autres. On attend avec impatience sa prochaine livraison.
Christian Lejosne
Ce texte a également été publié sur le site de l’APA
Des réflexions plus personnelles sur mon site
(1) Tous les livres d’Édouard Louis sont publiés au Seuil. Changer : méthode en septembre 2021
(2) Robert Laffont, 1976
(3) Flammarion, 2009