Contre l’oubli et l’hypocrisie
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Les occasions de s’indigner ne manquent malheureusement pas. Les cérémonies de commémoration de la libération du camp d’Auschwitz par l’Armée Rouge en 1945 en ont fourni quelques unes de plus. Retours sur cet événement.
Pas moins de quarante quatre chefs d’Etat ou de gouvernement avaient fait le voyage d’Auschwitz pour garantir la vigilance et la responsabilité de leur pays. « Plus jamais ça ! » ont-ils clamé, comme pour nous rassurer. Plus jamais ça, mon œil ! Ca a recommencé plusieurs fois déjà depuis 1945, les crimes contre l’humanité, les génocides (je ne parle même pas des guerres). Au Rwanda, en Tchétchénie, contre les Kurdes, et j’en passe … Les responsables politiques de ces horreurs (ou leurs successeurs) étaient présents, une hypocrite larme à l’œil devant les caméras du monde entier. Seule Simone Veil a osé accuser : « Le vœu que nous avons tous si souvent exprimé de « plus jamais ça » n’a pas été exaucé, puisque d’autres génocides ont été perpétrés ».
En France, les médias s’étaient démenés pour que cette célébration donne lieu à diverses émissions. France 3 a par exemple diffusé le film « Shoah » de Claude Lanzmann en intégralité. Ce film documentaire retrace l’horreur de la solution finale au travers des récits de survivants, mais également de quelques anciens nazis et des habitants voisins des camps. Le diffuser peut sembler une démarche courageuse. Mais à y regarder de plus prêt, il est permis d’en douter. Réalisé en 1985, on peut déjà s’interroger sur sa non diffusion par une chaîne de télévision depuis vingt ans. D’autre part, qui a pu se permettre de regarder ce reportage de plus de neuf heures trente diffusé pendant toute une nuit de semaine ? La durée du film ne permet même pas de le magnétoscoper. Non, le réel courage éditorial aurait consisté à le passer un dimanche entier en journée, sans pause publicité. Mais il aurait alors fallu se battre avec le service commercial et les annonceurs. La loi du marché a encore une fois eu raison de la volonté éducative. Seuls les insomniaques ont pu regarder « Shoah » jusqu’au bout de la nuit.
Pourquoi n’avoir rien fait contre les camps d’extermination du troisième Reich ? Parce que les Alliés n’étaient pas au courant, nous répond-on. Cependant cette réponse est totalement fausse. Dès 1942, des témoignages fiables et des photographies aériennes des camps parvenaient aux Etats-majors anglais et américains. Mais ceux-ci font le choix de concentrer leurs efforts par des bombardements intensifs de villes allemandes, dans l’espoir de démoraliser le peuple allemand pour qu’il se retourne contre ses dirigeants (stratégie aussi meurtrière qu’inutile). « L’été 1943, il restait encore quelques millions de Juifs à sauver. Selon l’historien David WYMAN, c’est pour cette raison que les ministères des Affaires Etrangères aux Etats-Unis, comme en Angleterre se sont efforcés de retarder la diffusion des informations sur l’Holocauste. Ils craignaient si la vérité était connue, de voir naître des revendications d’actions de sauvetage qui à leur tour entraîneraient une immigration massive de Juifs d’Europe de l’Est, chose que l’Angleterre et les Etats-Unis voulaient éviter à tout prix. » (1) En avril 1944, les nazis commencent à regrouper les juifs hongrois pour les transporter à Auschwitz. A peu près au même moment, l’aviation de bombardement américaine tient Auschwitz à sa portée (divers bombardements ont lieu sur des objectifs industriels à quelques kilomètres du camp les 7 juillet, 20 août, 13 septembre, 18 et 26 décembre 1944). Pour rappel : Auschwitz est évacué par les nazis le 18 janvier et les troupes russes y pénètrent le 27 janvier 1945. « Si le Pentagone avait réagi à la pression des organisations juives lui demandant de bombarder les chemins de fer situés autour du camp, un demi million de Juifs auraient pu être sauvés, écrit David WYMAN. » (1) Pourquoi ces vérités sont-elles encore aujourd’hui absentes des discours officiels et des musées de la guerre ?
Les cérémonies « contre l’oubli » qui vont se succéder en 2005 à l’occasion de la fin de guerre la plus meurtrière jamais connue sont nécessaires. Mais elles ne seront suffisantes pour éviter de futurs massacres que si l’on y ajoute une bonne dose de lutte contre l’hypocrisie.
Christian LEJOSNE
(1) Extraits de « Maintenant tu es mort » (p. 186 à 190). Essai sur le siècle des bombes, écrit par le Suédois Sven LINDQVIST, paru au Serpent à plumes en 2001. A lire absolument !