Les coulisses de l’écriture

vendredi 31 janvier 2020
par  Christian LEJOSNE
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C’est toujours pour moi un plaisir, après avoir diffusé ma chronique, de recevoir le commentaire de lecteurs à qui le texte a « parlé ». Vous êtes à chaque fois de dix à vingt à réagir et j’attends ces retours avec un mélange de plaisir et de crainte. Sans doute cet aspect narcissique est-il assez proche des like qui inondent les réseaux sociaux... A l’occasion de la Nuit de la lecture (1), j’ai, pour la première fois, eu la chance de vivre une situation où il m’a été donné à voir l’ensemble de mes écrits. Je fus sans doute le premier surpris de ce que je découvrais.

L’enquête comme source d’écriture
Le silence a le poids des larmes est une recherche de ce que fut la vie de mon grand-père maternel, un taiseux placé à l’Assistance publique à l’âge de dix ans. Un fil rouge tente de repérer la clé qui fut le déclencheur de l’écriture chez vingt-six auteurs contemporains. Les disparus du marché de Noël d’Arras est un roman où un commissaire de police mène l’enquête suite à la disparition de plusieurs personnes. Un flic se cache-t-il derrière celui qui écrit ? L’enquête, en soi, n’est pas le propre du flic...

L’enfance au cœur de mes écrits
Dans nombre de mes chroniques, il est question de l’enfance, la mienne ou celle d’autres personnes. Dès mon premier livre, intitulé Le fil – tiré à trente exemplaires – j’avais croisé des souvenirs d’enfance de mon père avec les miens, tentant de mettre en évidence des constantes entre nos vies, malgré les différences sociologiques liées aux époques dans lesquelles celles-ci s’étaient déroulées : les années 1930-40 pour mon père, les années 1960-70 en ce qui me concerne. En balayant Étonnant trilobite, recueil d’extraits de mes cinquante premières chroniques, je compte vingt textes se rapportant à l’enfance. Le silence reconstruit l’enfance de mon grand-père. Un fil rouge parle de celle de plusieurs écrivains. Deux des principaux personnages de Les disparus sont des enfants : Nicolas, onze ans, sourd appareillé et son ami Coussaï, réfugié Syrien du même âge. Pourquoi l’enfance est-elle au cœur de la plupart de mes écrits ? Je n’en sais absolument rien.

L’écriture de l’exil
J’ai commencé à écrire fin 2003, après être arrivé à Montpellier. D’abord des chroniques. C’était la façon que j’avais trouvée de donner de mes nouvelles aux ami(e)s et connaissances que j’avais quittés. Il y a quelque temps, un souvenir est remonté à ma conscience : je suis adolescent et j’écris à mon frère, parti vivre en Écosse. Ce frère, qui me servait de repère pour grandir et m’affranchir de la culture familiale, je ne peux plus lui parler, l’interroger pour tenter de comprendre le monde que je découvre. Alors, laborieusement, pour lui rendre compte de ce que je vis et ressens, je lui envoie des lettres dans lesquelles j’essaie de trouver le mot juste... Je me reconnais dans l’écriture de Linda Lê, écrivaine née au Vietnam en 1963, pays qu’elle dut quitter à l’adolescence avec sa mère et ses sœurs. Du foyer où elle résidait en France, elle recevait des lettres de son père, resté au pays, auxquelles elle s’empressait de répondre. « Je me souviens que mes premières lettres étaient baignées de larmes », écrit-elle dans Lettre morte (2). Comme Linda Lê, mon écriture trouve son origine dans l’exil. Trente ans après les lettres envoyées à mon frère expatrié, les chroniques écrites de Montpellier exigent la même attention pour les mots et remplissent la même fonction. J’écris pour anéantir la distance qui me sépare de ceux que j’aime. J’écris pour rendre ma vie habitable. Si, pour Alain Souchon, « Chanter c’est lancer des balles », écrire, pour moi, c’est envoyer des lettres. Pas étonnant alors que, pour terminer la soirée à la Boutique d’écriture, Norberte ait choisi de faire lire un texte où il est question de la verte campagne du Nord : « On n’est pas préparé à de telles rencontres ». Hasard de pagination, ce texte se trouve à la page 62 d’Étonnant trilobite. 62 est le numéro du département du Pas-de-Calais où j’ai vécu durant quarante-cinq ans.

Christian Lejosne

(1) Un grand merci à Norberte Sanroman, animatrice de la Nuit de la lecture du 17 janvier 2020 à la Boutique d’écriture de Montpellier pour la pertinence de ses analyses et la bienveillance de ses propos. Voir détails de cet événement.
(2) Éditions Nil, 2011

On n’est pas préparé à de telles rencontres

L’alignement scrupuleusement respecté des champs de betteraves exerce sur moi une fascination morbide. Leur méticuleuse exactitude à pousser là où on a posé leur graine restera un mystère du vivant. Des traces de pneumatiques rythment les rangées rectilignes. De longues lignes qu’on peut voir à perte de vue. Du tricotage de terre et de pierres. Des fibres de verdure croisant des trames de glaise. Un cache-nez qu’on enroule autour de l’horizon. L’œil alors s’y délave et devient transparent. Le cœur ralentit ses battements. Le corps aussi se fige. La plante des pieds s’enracine. Les mains dans les poches ne cherchent plus d’usage. La tête peut tourner parfois comme la terre ; avec la même impossible lenteur qui frise l’inconsistance. On n’est pas préparé à de telles rencontres. Il y a des jours qui ressemblent à la nuit, des nuits qui ne voient pas venir l’aube, des soirs de solitude, des siècles de sollicitude. Et tout ce temps défile et défie la trotteuse ; celle qui tournait en rond sous le cadran de verre de la montre que j’avais héritée de mon père, et que je croyais qu’il fallait remonter chaque jour afin que la vie continue à couler lentement.


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