The Christian Show
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Mon dernier roman – qui est également le premier – venait d’être publié. "Les Disparus du marché de Noël d’Arras" (1), ça s’appelle. Une fiction totalement inventée où des personnages sortis de l’imagination collective, tels saint Nicolas ou le père Noël, disparaissent. Rien de crédible là-dedans ! Un ami qui me veut du bien m’a pourtant proposé d’en faire la promotion. Naïvement, j’ai accepté, sans soupçonner ce à quoi j’allais m’exposer... (2)
Par une journée ensoleillée de novembre, je me retrouve dans le nord de la France. Immergé dans un décor de rêve ressemblant, trait pour trait, à celui dans lequel se déroule mon roman. Deux immenses places pavées entourées de maisons aux façades influencées par le style baroque flamand, dignes d’un décor de cinéma ! Sur la place des Héros, partout des terrasses où jeunes et moins jeunes boivent des verres à toute heure du jour et de la nuit. Un immense marché de Noël aux allées de moquette rouge et à la grande roue blanche domine la Grand-Place. Une foule de figurants (ça a dû coûter un pognon dingue pour parler comme notre président !), nombreuse et bigarrée, s’y promène. Je reconnais au passage quelques personnages de mon roman, faisant semblant de se promener là incognito. Le soir même de mon arrivée, nous réalisions une première vidéo au pied du beffroi, là où le petit Nicolas, sourd appareillé de onze ans, assiste impuissant à la chute, du haut du beffroi, du célèbre saint Nicolas. A peine postée sur les réseaux sociaux, la vidéo fait un carton. Cinquante. Cent. Deux cents vues. Comme une entreprise du CAC 40 ayant licencié une part de son personnel, le nombre de vues grimpe. Trois cents. Cinq cents. La barre des mille vues est dépassée tandis qu’une autre vidéo, réalisée lors de l’inauguration du marché de Noël prend le relais de la première. Cette autre vidéo me montre alors que je remets au maire de la ville un exemplaire dédicacé de mon livre. Le maire – ressemblant lui aussi à s’y méprendre au personnage de mon roman – me félicite et me tutoie. Je fais de même, agissant comme je le fais dans mon imagination lorsque je parle à l’un des personnages de mes livres... L’histoire aurait pu s’arrêter là, me laissant seul face à mon délire... Mais l’ami qui me veut du bien a poussé plus loin le bouchon. Ayant fait sa carrière dans la communication, il ne lui a pas été trop difficile de réunir une brochette de journalistes improvisant moult interviews, qui pour la presse écrite, qui pour des radios locales. Même les studios dans lesquels il me conduit ressemblent à des vrais (ayant moi-même réalisé quelques émissions de radios quand j’étais jeune, je peux en attester). A force, les réponses me viennent par automatisme. Les mots sortent, rodés, toujours les mêmes – on appelle ça des éléments de langage... Encore un peu, je finirais par me prendre pour une star venant faire la promotion de son dernier best-seller ! Dans les rues, les gens se retournent sur mon passage. Tout le monde est gentil avec moi. On me sourit. On me serre la main. On me félicite. Les séances de dédicaces se succèdent. Des visages connus ou inconnus ou que je n’ai pas su reconnaître me font face. Les journées s’enchaînent à la vitesse grand V.
Après une douzaine de jours, est-ce la fatigue ou le froid du Nord ? La fièvre me gagne. Et l’actualité me rattrape. Marche pour le climat. Grève contre la réforme des retraites. Une vague rumeur vient modifier le joyeux bruit de fond du marché de Noël dans lequel je baigne en apesanteur... Avant que les cheminots ne s’en mêlent. Eux aussi veulent me voir rester à demeure dans ce décor de rêve. On m’annonce que mon train de retour est supprimé. Aucune place n’est disponible avant huit jours. Blablacar ne m’est d’aucun secours. J’en suis réduit à prendre l’avion – vieil écolo pas très à cheval sur les principes. Sur le tarmac de l’aéroport de Lille, j’aperçois un débris de réacteur. A moins qu’il ne s’agisse d’un projecteur, éclaté sur le sol ? Pas le temps d’approfondir la question. Déjà le flot des passagers me pousse vers l’avion. Du hublot, je contemple la verte campagne du Nord. Nous prenons de l’altitude. Le voile de nuages se déchire. Nous voguons sur une mer de glace et sous un soleil blanc. La carlingue grince : réel/fictif/réel/fictif/réel... De fatigue mes yeux se ferment.
Christian Lejosne
(1) L’Harmattan, novembre 2019, collection NOIR
(2) https://christianlejosne.jimdofree.com/evénements/