Malades chroniques
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Quelle affaire abracadabrantesque, mes amis. Moi qui croyait me lancer tranquillement dans l’écriture, comme qui dirait en dilettante, me voilà servi !
Il y a d’abord, toutes vos réponses aux deux premières chroniques de l’air du temps. Je ne voudrais pas fanfaronner, mais je n’ai jamais reçu autant de courriers, de courriels ou de coups de fil. D’autant que je tente de répondre à chacun de vos messages… Ca crée une véritable réaction en chaîne digne d’une explosion thermo-nucléaire. C’est époutouflant.
Certains d’entre vous m’envoient des textes, qu’ils ont écrits ou qu’ils avaient soigneusement conservés au fond d’un tiroir. Vous y parlez du bonheur, du travail, de la paresse, de votre dentiste, de psychanalyse, du dernier livre que vous avez lu ou qui fera date, de l’envie d’écrire qui vous taraude (allez-y les gars, bougez-vous les filles, chroniquons nous les uns les autres).
Et puis, il y a ceux, qui se sont pris au jeu, qui chroniquent déjà comme ils respirent. A croire que c’est contagieux (la chronique contagieuse, ça se soigne Docteur Sachs ?). La preuve que je ne mens pas, je vous joins deux chroniques à celle-ci. La première m’a été envoyée par Jean-Pol (flamand rose qui a nidifié à Lille) intitulée « la chronique de l’ère du taon » et qui en est déjà à sa deuxième édition. La seconde a été écrite par Jean-Luc (nordiste gastronome ayant définitivement adopté le régime crétois du sud-ouest de la France). Celle-là s’appelle « chronique de l’ère du tant ». (1)
Comme me faisait remarquer Pierre-le-marin (actuel camionneur qui écrit un petit journal intitulé « Gas-oil » relatant les pérégrinations des « zhomes de la route » (2)) : « heureusement que tout le monde ne fait pas comme nous, on passerait notre temps à se lire et on n’aurait plus le temps de regarder TF1 ».
Et si justement, c’était ça la solution à nos problèmes de société ? Si chacun de nous faisait un petit geste, un truc presque insignifiant, mais qui changeait quelque chose de fondamental dans sa vie et par ricochet dans la vie des autres et dans la société toute entière ? Quand j’écris, je ne regarde pas la télé, je ne vais pas au supermarché acheter des produits inutiles, je ne participe pas à cette mascarade effrénée de la consommation standardisée, je ne roule pas en voiture, je ne pollue pas la planète… Je suis assis à une table, tout simplement. Et je fais la chose la plus extraordinairement simple qui soit : je m’invente un monde que je vous fais partager (enfin, si ça vous chante). Et ensuite je vous l’envoie. Et vous me répondez. Et il y a de l’échange. Et cet échange n’est ni monétaire ni monnayable. Il ne fait pas grimper le PIB. Mais qu’est ce qu’il fait grimper le Bonheur Intégral Brut (pour paraphraser l’ami Jean-Pol). Ecrire pour refuser de participer à l’orgie consumériste à laquelle pousse en permanence le système, pour ne pas être réduit à tant d’euros d’os et de muscles qu’il faudra forcément léguer à sa mort (pour citer l’ami Jean-Luc).
Ecrire comme élément de réponse au dernier livre d’Alain ACCARDO « Le petit bourgeois gentilhomme » (3) que je vous invite bien volontiers à lire. Alain ACCARDO est un enseignant chercheur spécialiste de Pierre BOURDIEU, dont il partage la conviction que le travail de sociologue est inséparable d’un engagement dans les luttes sociales. Ce petit livre dérangeant (95 pages) arrive à propos pour bousculer nos habitudes, remettre en question nos certitudes, nous obliger à regarder en face ce que nous nous cachons le plus souvent. Extrait : « L’essentiel, pour le bon fonctionnement du système, ce n’est pas seulement que le pouvoir économique et politique reste aux mains des puissances privées qui en ont spolié le peuple prétendument souverain, c’est aussi que ce peuple dans son ensemble accepte de se comporter en docile homo oeconomicus capitalisticus, c’est-à -dire plus concrètement de troquer sa souveraineté contre les avantages (péniblement obtenus au demeurant et toujours menacés) d’un niveau et d’un style de vie dont le modèle, désormais calqué sur celui de la middle class américaine, semble être devenu le point d’aboutissement ultime et indépassable de la civilisation occidentale. »
Le système capitaliste fonctionne à l’aliénation psychologique et morale, entretenue par de fallacieuses espérances de succès individuel et d’accomplissement personnel. Il convient donc d’admettre, selon ACCARDO, qu’on ne peut changer la société sans se changer aussi soi-même.
« Il serait relativement facile d’être de gauche s’il suffisait de vouloir changer les structures objectives externes. Il est évidemment beaucoup plus difficile de l’être quand il s’agit de clarifier et de changer la part de soi-même qui est asservie au système. »
Lire ACCARDO est un bon antidote à notre frénésie de jouissance, à notre soif démesurée de distinction et à notre volonté de domination… De quoi soigner nos maladies chroniques, en quelque sorte.
Christian LEJOSNE
(1) : Pour recevoir les prochaines chroniques de nos deux compères, faites inscrire votre adresse dans leurs listes : flament.jean-pol@wanadoo.fr
jeanluc.becquaert@libertysurf.fr
(2) idem pour Gas-oil : Pierrelemarin@aol.com
(3) Editions Labor/Espace de libertés – 12€