Ce qui se trame... dans la disparition de l’épaisseur

dimanche 22 octobre 2017
par  Marie
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Une petite réflexion philosophique et surtout un désir de vie pleine

15 heures, assise dans le métro, j’attrape un magazine abandonné sur le siège d’à côté. J’y apprends que si j’ai quarante ans et que je veux rester une femme désirable et en bonne santé, je ne dois surtout pas me lester. Le risque est grand pour les choses et les êtres de devenir encombrants. Alors, je dois tout connaître des secrets d’un régime et d’un ventre plat. Et pour mieux faire sentir la légèreté qui nous quitte avec les années, les pages sont collées de femmes maigres et insipides, de jeunes hommes glabres à l’allure aussi glacée que le papier. Puis on me parle d’une révolution pour l’humanité, pas celle des idées, non, celle des dernières trouvailles technologiques ultra fines et ultra light. 
Mon voisin, lui, n’a pas levé la tête, il regarde un film sur sa tablette. En face, son fils vérifie toutes les 25 secondes que son téléphone est toujours bien calé dans l’étroitesse de sa poche. Le perdre, ce serait perdre sa vie : ses contacts, ses photos, sa musique…. Son temps et son espace. Comme une propriété. Compressés, immédiats… illusoires. Un signal sonore ? Celui d’un courrier reçu dans sa boite électronique. L’expression est figée. Le pouce appuie machinalement sur la surface plexyglassée. Jamais il ne soupçonnera l’impatience de caresser l’enveloppe tant attendue, de sentir son odeur, de la palper pour en deviner la consistance.

Je regarde mon reflet terne dans la vitre du métro et je me demande ce qui se trame dans la disparition de l’épaisseur.

Plus le monde est rugueux, vaste, inégal et âpre, plus on le donne à voir sous une forme petite, plate, insipide et lisse. Car, voyons….Tout devient plat. Petites cartes ou écrans, tout y est contenu : mon argent, mes cadeaux, mes loisirs, ma fidélité, ma mémoire, mon identité. L’espace, le temps et l’homme sont désormais aplatis, sans dimensions, réduits au format de poche individuel. 
Alors, penser l’autre ? Comment le pourrait-il ? Admettons-le, il peine à le faire. Car, évidemment, la réduction de l’humain à l’objet, la disparition de son épaisseur, c’est la disparition du corps et avec lui de toute la fonction symbolique et métaphorique du langage.
L’être humain a la possibilité de vivre son rêve ! Celui de se mettre debout, de s’élever pour traverser l’épaisse dimension de la vie, étreindre l’expérience et les gens qu’il aime, pénétrer la joie intense du doute, percer la profondeur des mystères et de la poésie. Au lieu de cela, il apparaît courbé et rampant, guidé par le crétinisme d’une croyance unique. Il se ratatine derrière un écran pour se mettre en scène dans la banalité de sa vie. Il est noyé dans la multitude d’informations virtuellement et inutilement partagées. Il existe et communique, enfermé dans sa surface, à se bouffer les doigts jusqu’au sang, histoire de faire la peau à la moindre envie.

Espérons que son écran lui renvoie un jour l’imagerie de son encéphalogramme …. 

Plat ?

Les portes du métro s’ouvrent. Je me fais toute mince pour me frayer un chemin vers la sortie.

Je rêve d’être Icare. Pas celui de la mythologie… du moins, pas tout à fait. Je rêve d’être l’Icare de Raymond Queneau, ce personnage qui prend corps et s’échappe du livre, obligeant le romancier à engager un détective privé pour le retrouver. J’imagine un monde où nous sommes chacun un Icare désireux de sortir de notre horizontalité pour nous frotter aux aspérités de l’Autre. Et je rêve qu’avant de nous brûler les ailes et de retomber dans la platitude de l’éternité pour entendre l’auteur s’exclamer : « Tout se passa comme prévu, mon roman est terminé"i, nous nous réjouissions d’arpenter les reliefs de la vie et de nous enfler de ses richesses. 
Voyez donc, la vie, ça pique, ça descend, ça brûle, ça monte, ça perce, ça coule, ça brille, ça râpe, ça gonfle, ça casse, ça rebondit….

En tout cas, moi, je veux en sculpter les rondeurs, en ériger les contours rugueux, en pénétrer les profondeurs, et m’entailler au tranchant de ses épreuves. 

Je veux vivre l’expérience du corps et du langage.  

Je veux sentir l’épaisseur des êtres.


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