Ce qui se trame... dans le sens de la visite

mercredi 5 juin 2019
par  Marie
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Dimanche, pluie, envie de découverte. C’est parti pour le Musée. Bâtiment immense, plusieurs dizaines d’œuvres exposées. Dans la file d’attente, mon enthousiasme se cogne soudainement au célèbre petit panneau en forme de flèche : « SENS DE LA VISITE ». Devant ce sas d’entrée, ma perplexité grandit : nous allons tous devoir passer par là - histoire de démarrer dans le « bon sens » - alors que cinq autres portes me narguent, cachant derrière elles le secret de leur géographie.
Dimanche, grand soleil, envie de prendre l’air... Bon...il parait que c’est touristique, mais 70 hectares de parc devraient nous permettre d’aller nous perdre dans des espaces ouverts et intrigants. Dans le premier quart d’heure de promenade, au sein d’un monde océanien reconstitué, mon regard s’arrête ahuri sur ce même petit panneau noir en lettres blanches : « SENS DE LA VISITE ».
Non ?
Je suis bouche bée. Je souris quand même parce que, tout maigrichon et de guingois, presque mal à l’aise, ce petit écriteau semble plier sous le poids de sa mission absurde.

Je me demande alors ce qui se trame dans le contrôle de nos errances ?

Que la direction de la sortie soit suggérée en même temps que celle de l’entrée, et qu’on m’impose un début et une fin, je peux l’admettre. Pourquoi ? Parce que je joue le jeu d’entrer dans un espace recréé et organisé par l’Homme. Et puis, c’est comme la vie, non ?
Mais, si en plus, on m’impose l’ordre et le chemin, alors là, c’est une autre histoire ! Ainsi, on m’empêcherait de créer moi-même les méandres de mon labyrinthe, et de ressentir l’ivresse de m’y perdre et de m’y retrouver ?

Vous me direz que pour une vie possible en société, il faut bien une organisation, des règles de circulation, une gestion des flux, des êtres et des choses. Bref, la dose de névrose nécessaire pour que l’on cohabite sans se dévorer. Vous me direz aussi que notre monde est déjà dessiné de clôtures et de frontières qui séquencent les espaces et parquent les individus. Il faut limiter le mélange et l’éparpillement jusque dans la sépulture.
Certes.
Mais quand on m’impose une direction et un ordre jusque dans mes loisirs, mes découvertes et ma créativité, on m’impose forcément une signification. Et dans ce cas, qu’entend-on par « sens de la visite" ? Quand vous vous enivrez d’un moment à venir parce qu’il est une invitation à être et à sentir, et qu’en réalité, vous recevez une invitation à suivre, c’est troublant.
C’est comme si, à peine sorti du ventre de votre mère, on vous accueillait avec un panneau directif si toutefois l’idée qu’il puisse exister des chemins de traverse risquait de germer un jour. C’est comme si, sous les balbutiements de vos caresses, votre amour dévoilait soudainement sous ses vêtements, là, inscrit et tatouée sur sa peau, une indication fléchée notifiant les étapes pour ne pas trop vous égarer sous le plaisir des sens.
Effrayant.
Le contrôle de l’errance, en contaminant les espaces de nature et de culture, agit insidieusement sur notre pensée, notre créativité et notre indépendance. Il organise l’espace et le temps de la rêverie et de l’expérience. Inciter les êtres à suivre le sens de la visite, c’est éviter le croisement des corps et des regards, c’est empêcher que les expériences se déploient, se communiquent, se touchent et se nourrissent. C’est faire mourir le lien, le détour et l’impertinence.

Dimanche, la lumière du soleil m’effleure et vient me réveiller. Je reprends mes sens doucement. J’ai fait un rêve étrange. Je retournais dans ce parc la nuit en cachette. J’y entrais par effraction et je recouvrais de peinture noire 3 lettres du panneau pour laisser en lettres blanches l’indication « SENS DE LA VI E ». Je redressais le panneau et orientais soigneusement la flèche vers la sortie. Puis je déposais, à son pied, un sac de poudre dorée.
Le lendemain, j’y retournais et on me racontait qu’à l’aube, une petite fille avait lu le panneau. Elle s’était emparée du sac et avait marché vers la sortie. Dans la joie de son errance, le nez en l’air, elle avait répandu çà et là un peu de cette poudre magique. Pas à pas, la lumière avait alors laissé apparaître une multitude de chemins jusqu’alors invisibles.
Marie


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