Le chant des possibles
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Je me souviens… c’était en août 2004 dans les Cévennes, près d’Anduze. Dans un vieux mas rénové avait lieu un stage de chant, encadré par Christian CAMERLYNCK (1). Christian, je le connais depuis un moment. C’est quelqu’un de bien. Je ne sais pas si vous avez déjà suivi un stage de chant, ou de n’importe quelle autre activité d’expression, d’ailleurs … Moi, c’était la première fois. Alors forcément, au début, on est dans ses petits souliers (vert).
Le premier jour, les personnes qui n’ont jamais chanté de leur vie (sauf éventuellement bien à l’abri dans leur salle de bain ou bien derrière les murs de la maison d’arrêt de leur enfance) chantent devant le groupe de stagiaires. Oser chanter devient tout de suite une réalité. Et ça se fait en douceur. En douceur et profondeur, comme disait Adamo. Christian est un être hors du commun. Il sait adapter ces interventions à chacun. Quand tu chantes, il te pétrit le corps comme un boulanger le ferait de sa pâte à pain ; comme un sculpteur qui partirait d’un corps mal dégrossi pour fabriquer un être, beau, capable d’exprimer des sons, des mots, des émotions qu’il ne pouvait pas seulement envisager émettre. C’est de la chimie fine, de la mécanique de précision. J’ai eu une pensée pour mon père qui (lorsque j’étais petit garçon) réparait une à une, montres, réveils, horloges, avec patience, avec doigté, avec dextérité et avec amour. Car Christian ne travaille pas uniquement sur des molécules ou des engrenages, mais également sur de la matière vivante, sensible, émotive, toute en retenue ou en quasi-implosion. Il adapte, il s’adapte à chacun. Et le miracle a lieu à chaque fois. Les gens qui doutent se sentent aussitôt en confiance. Neuf personnes ont chanté pour la première fois de leur vie et neuf fois par une méthode différente, le même résultat s’est produit : des êtres transformés ont été accouchés sous nos yeux.
Quand quelqu’un chante, il est accompagné au piano. Jean Paul ROSEAU dit « je suis avec vous dans votre état d’âme quand je vous accompagne ». En fait, il ne nous accompagne pas, la plupart du temps, il nous précède. Il tisse par avance des filets de sécurité pour que le chanteur-funambule puisse glisser en toute sécurité sur le fil de sa chanson.
« Je voudrais chanter comme on boit un verre d’eau, que ça coule tout seul » a dit un stagiaire. C’est vrai que chanter n’a rien de naturel. Ca n’est pas comme quand la serveuse automate prend une commande en terrasse. Ou dire « je t’aime (A.I.M.E.) » à son amoureux. Ou même déclamer un monologue shakespearien. Ca vient de très loin en soi, du plus profond de nos petits greniers personnels, là où l’on cache à la fois la confiture de maman qui nous a ouvert à la vie ou la vieille marmelade indigeste qui nous est restée au travers de la gorge depuis toutes ces années et qui fait que morts sont les enfants qui vivaient en nous.
La chanson, qu’est-ce que c’est, la chanson ? Trois petits mots, quatre petites notes, un petit air qu’on fredonne sans même s’en rendre compte (toutes les chansons ne commencent pas par « rappelle-toi, Barbara »). Et puis là, dans cette sorte de village gaulois retranché, ces chansons reprennent de la couleur, de la vigueur, s’emplissent d’émotions longtemps refoulées, reprennent vie autant que ceux qui les écoutent, sortent de leur anonymat, changent de propriétaire et nous éclatent à la gueule. Qu’ils sont beaux ces chanteurs d’un jour, ces visages chantants qui se transforment, s’ennoblissent, s’expriment enfin et crient au monde leur éphémère vérité. Je rêve d’un monde où le ministre de la Culture rallumerait, à date périodique, la flamme des talents inconnus des amateurs-artistes. Où l’argent des quêtes et des Téléthons servirait à payer des faiseurs de beauté qui ramèneraient un peu de couleur sur tes lèvres, Louise, (petite fille en pleurs jaillie d’une île des Marquises) et emplirait de bonheur le cœur asséché de Maria Susanna, venue de sa Bohème lointaine. Et l’on entonnerait « le chant des possibles » …
Message personnel : Christian, dis, quand reviendras-tu de l’incendie à Rio chanter « Summertime » au copain de mon père ?
Christian LEJOSNE
Explication complémentaire : à la manière de Cécile qui proposait, dans un atelier d’écriture, de rédiger des textes commençant par « Je me souviens… » en parlant d’une couleur tirée au sort, j’ai glissé dans cette chronique les titres des 27 chansons reprises lors de la restitution réalisée en fin de stage. Si vous souhaitez les retrouver, voici la liste des titres et de leur interprète tels qu’ils apparaissent chronologiquement dans le texte : Quelqu’un de bien (Enzo Enzo), Ailleurs (Jacques Debronckart), Les souliers verts (Linda Lemay), Les murs de la maison d’arrêt (Alain Poitou), Petit garçon (Serge Reggiani), Les gens qui doutent (Anne Sylvestre), Le funambule (Jean-Roger Caussimon), La serveuse automate (Michel Berger), Je t’aime A.I.M.E. (Charles Aznavour), Le monologue shakespearien (Vincent Delerm), Petits greniers (Anne Sylvestre), La confiture (Les frères Jacques), Morts les enfants (Renaud), Rappelle-toi, Barbara (Jacques Prévert), L’anonymat (Jacques Debronckart), La quête (Jacques Brel), Tes lèvres, Louise (Thomas Fersen), Une petite fille en pleurs (Claude Nougaro), Une île (Serge Lama), Les Marquises (Jacques Brel), Maria Susanna (Michèle Bernard), La bohème (Charles Aznavour), Message personnel (Michel Berger), Dis, quand reviendras-tu (Barbara), L’incendie à Rio (Sacha Distel), Summertime (George Gershwin), Le copain de mon père (Allain Leprest).
(1) Pour plus d’info sur ces formations : A Corps Voix – 7 Rue Saint Pregs 89140 GISY LES NOBLES – 03.86.67.09.19 courriel : acorpsvoix@wanadoo.fr