Une correspondance par-delà le temps
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Pour le 150e anniversaire de La Commune de Paris, les éditions de La Découverte [1] ont sorti un livre d’histoire à la forme originale. Il s’agit de la correspondance d’une historienne, Ludivine Bantigny, avec des femmes et des hommes de la seconde moitié du XIXe siècle : 62 lettres. J’ai spontanément pensé :
Le fond est dans la forme et réciproquement [2]
Une lettre ne s’adresse pas à une entité abstraite, elle s’adresse à des personnes ayant un corps, une sensibilité, des pensées propres. Écrire la Commune sous forme de lettres, c’est donner corps et âme à des êtres vivants qui se sont levés, ont espéré, ont souffert et, pour 30 000, sont morts lors de la semaine sanglante.
Une lettre individualisée, à des personnes différentes, ayant vécu le même évènement, permet également de restituer une réalité complexe. La Commune a été un moment exceptionnel dans l’invention et l’exercice d’une démocratie nouvelle. La représentation par les urnes, n’est plus la seule forme d’expression de la volonté populaire. La Commune ne s’est pas donné un chef. Elle a été dirigée par des hommes et des femmes, alors qu’à cette époque leur droit de vote n’est même pas envisagé. Léo Frankel [3], un internationaliste d’origine hongroise, Élisabeth Dmitriev [4] et Jaroslaw Dombrowski [5], tous deux originaires de Russie ont eu des responsabilités importantes.
Le choix de la lettre permet de présenter l’évènement sous la forme de petites touches aux couleurs différentes et nuancées, restituant différents aspects de la vie sous la Commune. Dans ce tableau, trois couleurs dominent : le vert de l’espoir, le rouge du sang et le noir de la mort. On y trouve aussi un peu de jaune, la couleur de l’amitié, de la joie et de la fête. Le bleu du ciel y a peu de place. L’historienne ne nous enseigne pas La Commune, elle nous la donne à voir à travers des êtres vivants qui ont vécu l’évènement [6] .
Ces lettres par-delà le temps, cette correspondance par-delà la mort, offrent un regard subjectivé entre l’auteure, éprise comme ces correspondant.es, d’un idéal de justice, et des personnes qui, dans un autre temps et un autre contexte, ont cherché à faire vivre ce même idéal.
Le rapport entre les vivants d’aujourd’hui et les vivants d’hier est le fil rouge de l’ouvrage.
L’historienne présente des documents d’archives et rend compte de faits historiques. Elle interroge également pour le temps présent les évènements passés. Un peu comme une personne voulant assumer sa vie va rechercher ce que lui ont légué ses ancêtres. En lisant Ludivine Bantigny, nous allons retrouver ce que nous ont transmis ces hommes et ces femmes qui ont fait notre histoire collective. Ce faisant, l’auteure nous aide à construire le présent.
La Commune de Paris est un évènement paradoxal.
L’évènement est très bref, 72 jours dans l’histoire du pays. Il n’a pas eu le temps de porter les fruits dont les bourgeons étaient prometteurs. [7] Il s’est terminé par un massacre de 30 000 morts en une seule semaine : des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards. Or cette désastreuse défaite du peuple s’organisant pour faire advenir la République sociale, est devenu, pour ce peuple, une bannière : celle de l’espoir possible d’une vie meilleure pour tous [8]
Depuis 150 ans, presque toutes les tentatives de luttes émancipatrices du monde ont brandi cette oriflamme. On la retrouve, en France en 1968 [9] , mais également sur le dos des Gilets jaunes [10] : La formule Police partout, justice nulle part est de lui, prononcée devant les députés en parlant de gouvernement conduit par Louis-Napoléon Bonaparte ( p 330 )]], ou à Notre Dame des Landes [11] . Tous les courants révolutionnaires s’en sont revendiqué. Aujourd’hui à Athènes, une fresque restitue l’évènement dans le quartier d’Exarcheia [12]. La littérature, le cinéma, la Bande Dessinée, la chanson, la peinture, le spectacle vivant... relaient ce besoin de mémoire.
Oui, aujourd’hui encore La Commune n’est pas morte [13]
Les lettres de la partie Échos passés d’un monde à venir relie passé, présent et avenir. Elles font des liens entre ce qui a été entrepris par la Commune et les initiatives d’aujourd’hui qui préparent demain. Dans ces lettres à Élisée Reclus [14] ou à Francisco Salvador Daniel, l’auteure rapproche la Commune avec les communs d’aujourd’hui et un nouveau communalisme. Dans la lettre à Paule Mink [15], ou dans celle à Victor Hugo comment ne pas entendre les luttes actuelles contre la pédophilie et l’inceste lorsque l’auteure écrit : Ce qui n’est pas audible était dit.
Un livre d’histoire pour aujourd’hui.
Voir également Il y a cent cinquante ans : La Commune
[1] La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps Ludivine Bantigny La découvert mars 2021 22 €
[2] La forme induit le fond et y contribue.
[3] Léo Frankel, ouvrier orfèvre âgé de 27 ans, rejoint la Commission du Travail et de l’Échange. Il œuvre pour transformer en coopératives, les ateliers abandonnés par leurs propriétaires
[4] Élisabeth Dmitriev, âgée de seulement 19 ans, favorable à la démocratie auto-organisée, aide à constituer et à fédérer des associations de productrices libres.
[5] Jaroslaw Dombrowski, officier dans l’armée russe, puis condamné à la déportation par le régime tsariste, organise la défense contre les Versaillais et meurt sur les barricades lors de l’assaut des Versaillais, à l’âge de 34 ans
[6] Elle écrit même à une inconnue, dont elle ne connaît que la fin de vie : « corps couché sur le pavé, le ventre ouvert par une affreuse blessure, pendant qu’un soldat rit, dévidant tes entrailles avec sa baïonnette. »
[7] Les réformes entreprises par la Commune ont été balayées par les Versaillais
[8] alors que la bourgeoisie vainqueure, cherche à la banaliser.
[9] Lettre à Alix Payen : auteure de C’est la nuit surtout que le combat devint furieux. Une ambulancière de la Commune 1871 publiée en 1910 reprise en 2020 chez Libertalia
[10] Lettre à [[Victor Hugo
[11] Lettre à Franciso Salvador Daniel pianiste, violoniste, compositeur. Il est fusillé pendant la Semaine sanglante à 40 ans
[12] Lettre à Louise Michel : S’échapper du vieux Monde ( p 384 ) Fresque photographiée en 2017
[13] Titre d’une chanson d’Eugène Pottier, écrite en mai 1886, en souvenir de la Commune de Paris, dédiée "Aux survivants de la semaine sanglante".
[14] Élisée Reclus géographe, militant anarchiste, émerveillé de la nature. En prison lorsque la Commune a commencée, il est ensuite condamné à la déportation et finalement à 10 ans de bannissement.
[15] Lettre à Paule Mink militante féministe, enseignante et lingère qui sous la Commune a ouvert une école professionnelle gratuite