Révolution : un livre vitamine
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J’ai lu, lors d’un voyage en train le petit livre Révolution [1] de Ludivine Bantigny [2]. Dès le début, j’ai été sous le charme de l’écriture.
"Elle parle. Elle dit « je ». Elle ne veut pas se laisser commémorer, c’est à dire au fond embaumer, qu’on la fête une bonne fois et qu’on n’en parle plus, comme une vieille chose révolue : tombeau pour une Révolution défunte, noir comme le gouffre, froid comme la mort. Mais elle, elle se sent vivante, toujours active et actuelle, toujours agissante. Elle cavalcade, fait des bonds dans le temps, embrasse l’avenir en serrant le passé dans ses bras……."
Très beau également la métaphore sur la Révolution qu’on essore.
Le sort réservé au mot « révolution » est une façon de l’essorer : certains s’en emparent, le font tourner dans tous les sens pour l’évider. Pour éviter aussi sa réalité historique et politique : l’accaparer revient à l’apprivoiser, dompter sa force et le tenir en laisse jusqu’à ce qu’il se soumette à ses nouveaux maîtres.
Plus loin, encore, rappelant l’étymologie du mot, l’auteur lance : Révolution... un mot qui danse et virevolte .
Les premiers chapitres, sont de belles pages de littérature.
Ce petit livre, présente la Révolution comme un processus (p 26), que les forces conservatrices cherchent à contenir, à circonscrire. Bonaparte devenu Napoléon dit : « La Révolution… : elle est finie ». Il s’agit de la vider de son contenu et de son sens [3], de la glorifier morte avec le visage de Che Guévara, quand ce n’est pas en faire un objet de commerce.
L’approche de l’histoire, par cette historienne, est éclairante. L’auteure mentionne les principaux éléments révolutionnaires du XIXe et XXe siècles pour illustrer son propos. Par exemple, La Commune de Paris, malgré son échec, offre au présent des espoirs d’alternatives, par les chemins qu’elle a défrichés. Ou, illustré par la Terreur, le recadrage sur la violence révolutionnaire, est pertinent : « En matière de violence d’État, 1793 n’a rien inventé. Pratiquée dans toute l’Europe par les monarchies de l’ère moderne, la terreur d’État se caractérise par un usage d’une violence extrême et ciblée, destinée à réduire les populations civiles à l’obéissance ». La violence de la Terreur, n’est rien d’autre que la continuation de la violence d’État de l’ancien régime.
J’ai été surpris par le chapitre Objet du désir, Je ne l’attendais pas. Il traite de la révolution sexuelle et commence par S’émanciper revient à changer son rapport au monde. Simone de Beauvoir avait ouvert une réflexion sur le conditionnement social des femmes avec On ne naît pas femme, on le devient [4]. Mai 68 permet d’approfondir la réflexion. Et Monique Wittig, peut développer ensuite : Si « les lesbiennes ne sont pas des femmes » c’est qu’elles décident de rompre avec la bio-catégorisation femmes/hommes aux ressorts sociaux et politiques aliénants… dans la construction sociale des rôles afférents. ( p 79 ).
Fermant le livre, un peu décoiffé par le vent qui s’en dégage, j’ai nourri ma réflexion. En plus, je me sens le cœur chaud et vivifié. Ludivine Bantigny met des mots sur ce que de nombreux militants ont éprouvé. Le processus émancipateur procure des sentiments de joie et de jubilation. Les phases révolutionnaires, temps forts d’émancipation collective, procurent également de la joie et de la jubilation, du fait de l’énergie émancipatrice qu’elle donne à ses acteurs.
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[1] Révolution : Ludivine Bantigny Anamosa mars 2019 - 100 pages - 8 €
[2] Ludivine Bantigny est historienne, maître de conférences, chercheuse en histoire contemporaine
[3] Emmanuel Macron n’a pas hésité à appeler son livre de campagne Révolution.
[4] Le Deuxième Sexe Simone de Beauvoir, Gallimard 1949