l’accent
par
popularité : 5%
extrait de "Chemins et mémoires"
Je me souviens d’un évènement du cours préparatoire. Le maître me demande de répéter une phrase après lui. J’obéis. Il me réprimande car je prononce « mal ». Il redit la même phrase et renouvelle sa demande. Je reprends avec application. Il se fâche. Je suis surpris, je croyais avoir bien prononcé. Il recommence une troisième fois. Je fais très attention et répète. Il est en colère, affirme que je n’écoute « pas comme il faut ». – J’ai pourtant l’impression d’avoir prononcé de la même manière que lui – Une quatrième fois, il me demande de reprendre. Je suis désemparé. Que dois-je faire ? Que veut-il que je dise ?… Je répète. Cette fois, le verdict change : « Ça ira comme cela ! » dit-il, avant de s’adresser à un autre élève. Je me sens libéré, mais je ne comprends pas ce qui s’est passé car j’ai l’impression d’avoir dit quatre fois la même chose que lui. J’en conclus : « Il ne doit pas être d’ici s’il ne comprend pas ce qu’on dit !? » Au fond de moi, je pense : « Il ne nous aime pas parce qu’on n’est pas comme lui. » Aujourd’hui, je sais que ce jour-là, j’ai été humilié. J’en ai gardé de la colère et ai développé une attention sensible aux humiliations sociales.
L’accent nous rattache à une famille, un quartier, un terroir, un milieu. Premier élément de la construction sociale, il nous arrive dès le ventre maternel, nous est constitutif. Juger l’accent d’un enfant, c’est induire un déterminisme social. Porter un jugement négatif sur cet accent, c’est condamner ses origines familiales, son terroir, son milieu. C’est condamner l’enfant dans ce qui l’a fait, dans ce qu’il est.
Retrouvez d’autres extraits