Un réveil salutaire

lundi 26 juin 2023
par  Paul MASSON
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« Moutons ne songez qu’à paître,
notre berger veille sur nous »
Eugène Pottier


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Lorsqu’en octobre 2001, après huit ans de responsabilité à la tête de Culture et Liberté Pas-de-Calais, je quitte cette fonction pour devenir formateur indépendant, je pars avec un sentiment d’échec relatif. Sur le Pas-de-Calais, Culture et Liberté est un organisme d’accompagnement social reconnu. C’est également un centre de formation apprécié pour son travail auprès des personnes sans qualification scolaire. L’association fonctionne, ses comptes sont équilibrés, mais la dimension mouvement d’éducation populaire a pratiquement disparu des actions. Si elle reste dans certains discours convenus, plusieurs de ses acteurs n’en comprennent même plus le sens. Je pars déçu, un peu dépité.

Six mois plus tard, le 21 avril 2002, le verdict des élections tombe, sévère. le Pen obtient presque 20 % des voix au premier tour des présidentielles, il est devant Jospin, le leader socialiste. C’est dans les quartiers populaires, ceux dans lesquels nous sommes implantés depuis des années, que les électeurs se sont le moins déplacés et que le vote d’extrême droite est le plus fort. Surprise générale, gifle en pleine figure, coup de poing KO. Je suis furieux, furieux contre la société, contre les autres, contre moi... Colère de l’impuissance, une colère plus forte que le désespoir. Nous avons tout faux. Je sentais bien que nous, acteurs de l’éducation populaire, étions dans une ornière, parfois même, je craignais que nous soyons dans l’impossibilité d’en sortir. Et aujourd’hui, le résultat des élections confirme mes intuitions : Nous sommes sur une fausse piste.

L’absence, pendant vingt ans, d’une véritable éducation à la démocratie, d’un véritable éveil politique a favorisé la montée de l’extrême droite.

S’il est de saintes colères, énergie créatrice, celle-ci en est une pour moi. Un fil se rompt. Il ne m’est plus possible de continuer comme avant. C’est décidé, je ne veux plus mettre d’énergie dans la gestion des dispositifs sociaux, faire fonctionner le curatif bien pensant. Je ne veux plus organiser le travail des classes moyennes qui gèrent la misère, font tourner les pauvres dans les dispositifs, distribuent à la petite semaine des revenus faibles et précaires à des couches de population de plus en plus dépendantes. Ils contribuent à entretenir la misère culturelle qui accompagne la misère économique et sociale.
L’énergie créatrice, libérée par ce refus, je veux la réorienter dans le combat culturel, celui que j’ai découvert dans les années 1970 à Culture et Liberté, ce combat mobilisateur qui accompagne les luttes, suscite des initiatives alternatives. Je veux revenir à la culture définie dès 1970 par Culture et Liberté comme « capacité pour chacun d’assumer pleinement ses responsabilités et de développer ses possibilités ». Je veux revenir au fondamental, permettre à tous d’avoir prise sur la vie sociale par l’action collective. Mon engagement « ne peut se limiter à de vagues replâtrages ou mesures de détail. Il nécessite une action d’ensemble rigoureuse et vigoureuse dans les domaines essentiels que sont l’information, l’animation et la formation ». Le réveil est violent mais salutaire.

J’ai cinquante-trois ans, mon expérience, ma formation militante et professionnelle m’ont fourni un bagage pour conduire ce défi. Mon statut de formateur me donne des marges de manœuvre pour l’action. J’entends les utiliser. En plus de mon engagement à Culture et Liberté, j’adhère à ATTAC, qui se définit comme « mouvement d’éducation populaire tournée vers l’action ». Mais quelle action entreprendre dans le contexte où les associations institutionnalisées ont perdu leur capacité de formation des citoyens ?