Des mots tout noués de chair vive et de vent
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Ce matin, portée par la vague tranquille d’un dimanche ordinaire, je m’assieds devant une page blanche, et j’attends.
Le flottement de l’heure silencieuse m’aidera-t-il enfin à délivrer les mots…Ceux qui n’ont pas de musique encore, pas de souffle, pas de visage, mais qui se cognent en moi avec leur impatience, jour après jour.
Ca y est…je ressens déjà l’envie de quitter ma place…de me perdre à la fenêtre, dans le flou du lilas qui tremble… de grignoter une bricole, de préparer la compote, avec les fruits qui vont se décomposer…
Car ils m’oppressent un peu tous ces mots de mon ventre, qui sans fin se bousculent, en cherchant leurs accords.
Je les sens tout noués de chair vive et de vent. Ils me font mal. Ils me font vivre. Sur le fil des heures, ils affleurent sans cesse, dans le désordre, pour trois fois rien : pour ces minutes infinies, à regarder l’enfant qui regarde le monde… pour trois pages relues de cet auteur qui me ressemble et m’emmène avec lui, bien plus loin que ma route, pour ce joyau de poésie qui dit presque tout de mes incertitudes…pour ces rencontres malhabiles avec ceux que j’aime, ceux que je cherche, du lointain de mon autre planète.
Car c’est tout cela que j’ai besoin d’écrire, obstinément…tout cela et
tant d’autres nuances de sentir et d’être… tout ce qui fut déjà chanté, griffonné, vomi, raturé, murmuré par une multitude avant moi, tout ce qui fut pétri de la lumière et du sang des mots humains depuis des millénaires…C’est encore cela que je veux écrire, obstinément avec mon bout de mine à moi…par delà l’inertie des pudeurs et des peurs… par delà le gel sournois des milliers d’ « à quoi bon », et le marécage de tant de choses à faire.
Je relis mon texte et voilà qu’une nouvelle pulsion d’activité me pousse à aller m’occuper plus loin… pour fuir encore ce qui reste de désert et de maladresse dans la page… fuir cet embouteillage étouffant dans mon stylo… fuir cet inconfort face au miroir des mots qui me renvoie mon visage inconnu. Car ce ne sont pas tout à fait ces mots là qui bougeaient dans ma tête, car c’est bien plus, c’est bien autre chose, ce que je voulais dire. Oui, il manque le sel des larmes, le frôlement de la tendresse, il manque la respiration du silence, le bégaiement entre les lignes, le bel envol d’après la symphonie… Il manque mon sanglot qui a germé soudain dans ces éclats de phrases… moi qui ne pleure presque jamais…. Il manque l’éternel indicible des mailles les plus enfouies de la vie. Il manque tout cela, qui me poussera bientôt, comme une main obstinée sur mon épaule, à m’asseoir devant la page blanche d’un dimanche ordinaire… une fois de plus.
Nicole