Madame Blabla, Mme ’’je- sais -tout’’

mercredi 17 août 2011
par  Juliette WILLERVAL, Yvan VERSCHUEREN
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Portrait humoristique d’une personne que vous avez connu.
Donnez lui un surnom.

Juliette et Yvan se sont prêtés à la consigne

Mme Blabla parle toute la journée. Le matin elle voudrait bien s’intéresser aux émissions de France Inter, mais dès qu’elle allume la radio, il lui vient des idées, des choses à raconter, des faits dont elle se voudrait de ne pas avoir parlé à celui avec qui elle vit. Alors elle parle elle parle et après elle se dit : « C’était intéressant, c’est bête, j’ai rien suivi ! » Lui, tout bas, il sourit.
Quand elle se maquille devant sa glace, elle voudrait s’arrêter, histoire de s’appliquer, de ne pas dévier le trait, mais les mots montent montent et si elle ne parle pas, c’est le vide tout entier qui va la saisir là ! Alors « Bla bla bla bla oui et puis tu vois quoi ? Non, tu ne le sais pas ? L’autre jour au marché j’ai rencontré René, l’avait les traits tirés... »
Parfois il y en a tellement, des mots qui se bousculent, qui hurlent, et l’assaillent qu’elle se dit « Non ! J’peux pas ! Tant pis pour le rouge à lèvres, aujourd’hui pas de trêve ! » Elle n’peut pas s’arrêter, écouter le silence, reprendre un peu patience pour que ses mots, un temps, se regonflent de sens.
Alors elle y renonce au sens, et se surprend parfois, quand elle est invitée, à espérer que son amie ait une extinction de voix, les cordes vocales usées, une bronchite mal soignée. En société, elle repère tout de suite la proie qui peut la sauver, à qui elle va pouvoir parler et qui va l’écouter. Oh ! Ça durera le temps que ça durera, se dit-elle. Et elle retarde le plus possible le moment où l’autre saura, où l’autre comprendra que c’est plus fort que soi, qu’elle n’est juste qu’une voix, que ses mots sonnent creux et qu’ils ne disent rien, qu’ils ne créent aucun lien, juste de soi à soi, comme un fil qu’elle a peur de perdre dans le noir.
Parfois elle pousse le vice jusqu’à rire intérieurement de ceux qui ne s’en sortent pas de ses filets, de ceux qui ne trouvent pas l’issue de cette toile d’araignée qu’elle tisse autour d’eux.
Il y a ceux qui hésitent « Euh, je crois qu’on m’appelle... » mais elle saisit au vol l’occasion de commencer une nouvelle anecdote et prend des airs tellement outrés qu’ils ne peuvent dignement s’éloigner.
Il y a ceux qui tout doucement, bouillonnant intérieurement, ont renoncé à la couper, à interrompre ce flot de mots, qui se font une raison de la sentir accrochée comme une ombre à leurs souliers. Ceux-là continuent à vivre dès qu’ils ont percé son secret, se déplacent de convive en convive mais continuent, par respect, parce que jamais ils ne pourront lui hurler qu’ils n’en peuvent plus, à dodeliner de la tête, à faire des « Ah oui ? » et des « Ah bon ! ». C’est peu de choses mais elle sait que ceux-là, c’est pour toute la soirée qu’elle les a.
Quand elle rentre et qu’au coucher, la reprend sa logorrhée, elle s’impose une question, une pause : « Tu as passé une bonne soirée ? ». Quand elle entend le « Oui » magique après un long moment sans mots qui lui paraît interminable, elle sait qu’elle peut recommencer. Il faut dire qu’elle habite avec M. Silence.

Juliette

***

Mme ’’je- sais -tout’’ est la dernière tenancière d’une de ces boutiques moitié droguerie moitié bazar, vous savez, ces échoppes où on trouvait de tout ou presque : produits d’entretien, peintures, cires, pièges à rats, balais en paille de riz ( du 21 au 33 ! ) pince monseigneur, ouvre-boite, pantoufle en feutre, etc, etc.
Mme ’’je-sais-tout’’ ressemble à la publicité des pâtes ’’tante marie’’ : une figure ronde, petites lunettes fines des cheveux mi-longs retournés à hauteur d’oreille, le tout posé sur un corps de souris grise - comme sa blouse- courte sur pattes et surtout, se déplaçant comme le rongeur, vivement et par saccades.
Mme ’’Je-sais-tout est au courant de tous les potins du quartier. Normal, puisqu’ils prennent vie dans ses locaux. On appelle sa boutique ’’ aux R.G’’ référence aux fameux renseignement généraux qui savent tout sur tous et même un peu plus. Je suis moi-même fiché comme ’Casanova’ sans vraie raison mais tout simplement parce qu’un jour de ma 19ème année, je suis entré acheter un bâton de cire à fondre chêne- clair.
Le lendemain, j’étais propriétaire d’une petite maison de campagne, pas très loin, meublée rustiquement - chêne-clair, c’est toujours pour du rustique !- et à mon âge, ça ne peut être qu’une garçonnière de week-end, vu que le reste de la semaine je loge chez les parents à 2 rue de là.
Comment suis-je au courant ? C’est très simple.
A peine suis-je sorti que les 2 ou 3 voisines de commerce à l’entour s’approchent innocemment de Mme ’’Je-sais-tout’’ : : « Alors ? Les affaires reprennent ? » Et la pompe à cancans est amorcée.
L’agent de renseignement sort discrètement la fiche ’Verschueren Yvan’ situe la parenté et lâche l’info. Hochements de tête entendus, sourires complaisants ( c’est de son âge ! Et puis un chien ne fait pas des chats, quand on connaît le père !....)
Sourires que je découvrirai désormais tout au long de cette rue commerçante ; sauf info contraire, je suis un chaud lapin ! Moi, ça me va ; mon honneur de jeune mâle est bien lustré, pourquoi envoyer un démenti ? Pour d’autres, ça a du être plus dur.
- Dites, Mr Yvan... Je vous ai vu travailler pour Mr X... Vous le connaissez bien, Mr X ?
- Non.
- Je vous dis ça, parce que on dit comme ça que pendant la guerre...
Alors je coupe court de peur d’apprendre que je suis un fils de l’occupant...

Yvan


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