Brève histoire de Culture et Liberté
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texte écrit en 2000
Les années 1970 :
Au moment de la création de Culture et Liberté, nous sommes encore dans le contexte des « trente glorieuses ». La loi de juillet 1971 fait obligation aux entreprises de plus de dix salariés de consacrer 1% de la masse salariale à la formation continue de son personnel. La redistribution des fruits de la croissance passe, entre autre, par les enveloppes que les Comités d’Entreprise gèrent. Globalement, le compromis social mis en place après guerre, reste stable. Il repose sur une répartition des tâches entre les chefs d’entreprise à qui est confié le soin de décider des choix d’orientation économique, et les salariés producteurs des biens moyennant un revenu stable et une possibilité de promotion au cours de leur carrière. Les salariés revendiquent pour obtenir leur part des fruits de la croissance. Ils luttent pour disposer d’une part plus importante de la richesse produite. Globalement, ils ne remettent pas en cause les fonctions respectives de chaque partie, même si, avec le conflit « Lip » et les débuts de la crise, on voit naître la revendication à une possibilité d’intervenir dans les choix de gestion des entreprises ou celle plus globale de choisir sa forme de vie « vivre et travailler au pays ». Dans ce « contrat implicite », la fonction d’assurer la protection des plus faibles, est prise en charge par « l’état providence », organisé après guerre.
Culture et Liberté est créé en 1970 à partir de la fusion de deux organisations issues du courant chrétien du mouvement ouvrier. L’article 2 des statuts fixe l’objet de l’association : « pour le développement culturel du monde du travail ». Les actions d’information, de formation et d’animation mises en place par le mouvement se déroulent dans les quartiers ouvriers et dans les entreprises en lien avec les comités d’entreprises. Les militants de Culture et Liberté sont des ouvriers ou des personnes de culture ouvrière, les usagers de Culture et Liberté également. La base sociale de l’organisation est composée de travailleurs et de leur famille.
Culture et Liberté propose aux personnes un parcours : Venant en consommateur d’activités ou de services, mis en relation collective, l’usagé est invité à participer aux décisions qui le concerne. Conscientisé par l’action, il est invité à être co-élaborateur du projet de l’association. « L’usager » est invité à devenir « militant »
Les années 80 :
« La crise » commencée dans les années 70, fait sentir ses effets. Le chômage augmente. Il touche d’abord les plus faibles du monde du travail,. « L’état providence » va mettre en œuvre et financer des dispositifs « d’insertion ». Culture et Liberté va naturellement orienter son action en direction des « travailleurs » victimes du chômage. L’association est toujours dans sa mission. Avoir sa place dans le travail est une condition du « développement culturel » des travailleurs. De plus, l’association est bien placée pour cette mission. Dès 1974, son congrès a fait une analyse des mécanismes de sélection sociale qui s’opèrent dans le système éducatif (voir et elle dispose d’une expérience très ancienne dans la formation des personnes exclues du système scolaire.
En une dizaine d’année, des modifications structurelles profondes vont intervenir à l’intérieur de l’organisation. Les usagers de Culture et Liberté sont des personnes en situation d’exclusion depuis de plus en plus longtemps. Certains n’ont pas connu le monde du travail. Des salariés sont embauchés en nombre. Ils viennent de moins en moins du réseau militant, ils ont des profils de formateurs ou de travailleurs du social, un grand nombre d’entre eux n’a jamais connu le monde de l’entreprise, ils sont de plus en plus issus des classes moyennes. Les militants anciens, qui se sont formés par l’éducation populaire, ont acquis des compétences et si leur culture est celle du monde du travail, leur statut social est souvent celui des classes moyennes. Des militants nouveaux sont venus à Culture et Liberté par un autre canal que la culture ouvrière (luttes féministes, actions tiers-mondiste, syndicat étudiant) ou plus simplement parce qu’ insatisfaits des réponses qu’ils doivent donner dans d’autres cadres professionnels chargés de lutter contre l’exclusion, ils trouvent dans leur travail à Culture et Liberté un moyen d’agir différemment. .
On est passé d’un milieu homogène - « le monde ouvrier »- à un milieu hétérogène - exclus, ouvriers, classes moyennes, ...-, avec une différentiation de plus en plus nette entre l’origine sociale du « public » des actions, les « usagers » et celle des encadrants (salariés). - C’est dans les années 80 que le terme « public » fait son apparition pour désigner les participants aux activités -. Un malaise se développe dans l’association source de tensions. Cette tension se cristallise autour de la représentation des rapports « bénévoles - salariés ». Les « bénévoles » garants du projet qu’ils mettent de moins en moins en œuvre, et les « salariés » garants de la réponse à la commande sociale qui assure leur revenu. Lors de l’Université d’été de Sangatte en 1995 la tension est à son paroxysme.
Les années 90 :
La « crise » cette fois est à Culture et Liberté. Deux associations ont du déposer le bilan, deux autres sont en très grosses difficultés financières, toutes s’interrogent. Cette crise va conduire l’organisation à une recherche très importante sur le sens de leurs actions. A partir du congrès d’Albi (1993). Cette recherche de quatre ans aboutira au rapport d’orientation de 1997.
Elle commence par un constat : Depuis plus de 10 ans, on a mis notre énergie dans des dispositifs qui devaient permettre aux exclus de retrouver leur place dans le « monde du travail ». Or, malgré les budgets de plus en plus importants mis dans les dispositifs d’insertion, le nombre des chômeurs augmente, la situation des « exclus » se détériore. De ce constat se dégage un questionnement qui est rendu dans le livre : « L’insertion en questions ? » La réflexion conduit à remettre en cause les dispositifs d’insertion comme moyen de donner une réponse à notre attente. Cette conclusion nous apporte une réponse sur ce que nous ne voulons pas, mais non sur ce que nous voulons. Elle pose à l’organisation un nouveau problème : celui des moyens de vivre puisque le financement principal de Culture et Liberté vient des dispositifs d’insertion .
Les tensions bénévoles – salariés nous amènent à étudier les évolutions sociologiques qu’a connues notre association, et à nous poser des questions sur son sous-titre « association pour le développement du monde du travail ». Qui sommes nous ? Qu’est ce qui nous fonde ?
Pour répondre à ces questions, l’association étudiera le début de son histoire, ses origines. De l’université de Piriac (1994) jusqu’à la sortie du livre « Culture et liberté une naissance turbulente » (1998). Elle déterminera et écrira dans une « charte » les valeurs qui fondent son action. Jusque là, cela n’avait jamais été fait. A l’origine, alors que les militants étaient tous issus d’une même culture ouvrière imprégnée des valeurs du christianisme, celles-ci allaient de soi. Avec l’élargissement de la base sociale et idéologique, il est devenu nécessaire d’identifier les valeurs qui réunissent aujourd’hui les acteurs.
Se définir, quand on est « pour le développement culturel du monde du travail », nécessite de s’interroger sur la place du travail dans la société d’aujourd’hui. Ce sera fait en 1995.
La recherche sur la base sociale aboutira au triangle « citoyens (militant) - travailleurs (salariés) - usagers » qui sera présenté plus loin dans les concepts.
Riche de cette recherche, l’association élaborera son projet de transformation sociale « développement solidaire, un projet d’éducation populaire » .
« développement » : le développement préconisé concerne à la fois la promotion des personnes (de chaque personne), des groupes (groupes d’appartenance des personnes), et à travers ces promotions le développement des territoires. Il ajoute au « développement culturel » des années 70, la dimension économique.
« solidaire » : le développement que nous voulons ne laisse personne sur le côté, chacun y a sa place.
De ce rapport d’orientation , nous retiendrons quatre grands axes d’opérationalisation :
Articuler logique de programme répondant à des commandes publiques et logique de projet de transformation sociale source de « promotion conscientisante » élaborée avec l’ensemble des intéressés.
Associer les « usagers » à l’élaboration du projet associatif
Construire le projet par une confrontation entre trois types d’acteurs qui arrivent, dans l’association, par des portes différentes. (citoyens / salariés / usagers)
Organiser la lutte de transformation sociale par une mise en réseau de partenaires autour d’un large projet de développement solidaire.
Enfin, l’association nationale modifiera ses statuts pour pouvoir permettre aux forces nouvelles qu’elle entend mettre en réseau de trouver leur place dans l’association.
A ces évolutions, s’ajoute le besoin de penser la relève des responsables nationaux. Les années où les associations ont investi dans les dispositifs d’insertion ont été des années pauvres en investissement sur le sens des mouvements d’éducation populaire. L’analyse de la courbe des âges des responsables nationaux fait apparaître un tassement progressif de cette courbe et une quasi absence des moins de 30 ans. En 1993, l’âge des responsables nationaux est pratiquement contenu entre 30 et 50 ans . Pour ce qui est de la transmission de la mémoire, la capacité d’autoformation du groupe se trouve restreinte. Un certain nombre d’administrateurs nationaux souhaitent être remplacés et la construction du « Mouvement de Développement Solidaire » auquel l’association aspire, nécessite des énergies supplémentaires et plus diversifiées.
Paul MASSON 2000