Comme le maïs pendant la nuit...

mardi 7 novembre 2017
par  Christian LEJOSNE
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Un bon ami, qui ne travaille plus depuis quelques temps et avec qui j’ai l’occasion de passer de longs moments, m’a parlé de sa nouvelle vie. De ce qui avait changé dans sa façon d’être depuis qu’il avait cessé de travailler. Et à l’écouter, je me dis que sa façon de vivre est un message qui pourrait s’adresser à tous les humains.

Pouvoir vivre certaines journées à la manière de celles où l’on est en vacances : se lever quand on veut sans le recours du réveil, ne se donner aucune contrainte, se laisser aller à l’inaction, ressentir seulement le temps qui passe, faire ce que bon vous semble, lire si vous avez l’envie de lire, faire une promenade si vous avez le désir de prendre l’air, vous allonger au soleil... Pouvoir procrastiner sans culpabilité, remettre à demain tout ce que vous n’avez pas envie de faire le jour même. Car forcément, un jour viendra où cette chose à faire, vous aurez le plaisir de la faire. Pouvoir, dans cette vie ici-bas, faire les choses quand vous ressentez que c’est le moment de les faire. Ne pas être obligé de devoir les faire avant que ça n’en soit l’heure. Ne pas non plus laisser passer cette heure. Trouver le juste moment, « la voie du Milieu ». Mon ami prétend que c’est un exercice qu’il convient d’expérimenter et dans lequel on ne peut que progresser. Autre principe (ou plutôt autre pratique) : ne pas engager plus de choses à faire que l’énergie et le temps dont vous disposez, que ça soit une rencontre, un rendez-vous, une activité... Pour la réaliser au mieux et y être présent à cent pour cent.

Malgré cela, mon ami est encore en prise à la suractivité. Il doit demeurer vigilant, ne pas vouloir obtenir plus que ce qui est raisonnable, parvenir à gérer ses désirs, ses envies ; et calmer son ego qui en veut toujours plus, qui veut sans cesse être reconnu et aimé du plus grand nombre. Car il est difficile de ne pas être le plus souvent dans le « faire » Il griffonne par exemple des listes de choses à faire plus longues que le délai qu’il se donne pour les réaliser, s’obligeant à recopier sur la liste suivante une partie conséquente d’actions qu’il n’a pu mener ; ce qui a pour effet de le culpabiliser ; et pour conséquence logique que la liste suivante s’en trouve d’autant moins réalisable. Il me disait qu’il lui arrivait aussi de se réveiller la nuit et d’être encore emporté par ses pensées pendant des heures. Dans ces moments, il voyait peu de différences avec sa vie d’avant. A nouveau, il avait le sentiment d’être emmené malgré lui dans un flot ininterrompu d’actions se succédant les unes aux autres à un rythme effréné dans lesquelles il perdait pied. A nouveau, il imaginait son agenda anormalement rempli, à la façon d’une bête féroce dévorant son temps. Dans ces cas-là, la seule différence notoire qu’il entrevoyait avec sa vie d’avant – mais elle est de taille – c’est qu’il n’avait pas besoin d’ajouter du stress au stress en s’angoissant par anticipation sur la façon calamiteuse dont il allait devoir affronter la journée qui suivrait. Car dans sa nouvelle vie, les lendemains de ces nuits-là, il peut décider de ne rien faire d’important. De ne rien faire d’importun. De suivre simplement l’exemple donné par Henry David Thoreau, qui, durant les deux ans, deux mois et deux jours où il vécut dans une cabane au fond des bois, avait pris l’habitude d’écouter les bruits de la forêt : « Parfois, les matins d’été, après avoir pris mon bain rituel dans le lac, je m’asseyais de l’aube jusqu’à midi sur le seuil ensoleillé de ma porte, perdu dans la rêverie parmi les pins, les noyers blancs et les sumacs. Dans ma solitude tranquille, entouré du chant des oiseaux et de leurs vols furtifs à travers la maison ouverte, je ne prenais conscience de l’écoulement du temps que lorsque le soleil baissait à l’ouest ou qu’au loin sur la grand-route s’ébranlait la carriole d’un voyageur. J’ai mûri pendant ces saisons comme le maïs pendant la nuit. Cela me fut bien plus profitable que n’importe quel travail manuel. » (1)

Je me prends à rêver : chacun pourrait faire de sa vie une succession de périodes d’action et d’inaction ; l’une nourrissant l’autre. Travaillant moins, tout le monde pourrait avoir un travail. Travaillant moins, le travail serait mieux fait et retrouverait un sens qu’il a, depuis longtemps, perdu... Et chacun pourrait mettre en pratique la devise de Thoreau : « Transformer la qualité de la journée est le suprême de l’art. »

Christian LEJOSNE

(1) Walden ou La vie dans les bois, Albin Michel, collection de poche « Spiritualités vivantes », nouvelle édition de septembre 2017 du livre publié pour la première fois en 1854


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