L’attraction de l’urgence

vendredi 26 février 2016
par  Christian LEJOSNE
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Désactiver le réveil avant que son implacable mécanique pavlovienne ne vienne mettre sans dessus-dessous mes sens, mon cœur et mon esprit, créant un indicible état d’urgence dans tout mon corps.

Il fut un temps où un radio réveil me transportait dès potron-minet sur les théâtres de guerre ou de conflit, déchirant l’une ou l’autre partie de la surface de la terre, faisant de moi le spectateur impuissant d’un monde en décrépitude. Heureusement ce temps est aujourd’hui révolu (en ce qui me concerne tout au moins – le monde, quant à lui, ne semble aller guère mieux – j’ai simplement changé de réveil). Savourer les derniers instants de repos. Flemmarder au lit encore un peu ! Ce temps que l’on s’offre à ne pas agir, seulement ressentir le bonheur d’être au chaud sous la couette, dans cet espace feutré où le possible est encore à naître... avant que tout ne se précipite et ne nous échappe. Un temps rien que pour soi. Un temps volé... L’école buissonnière des grands.

Sentir peu à peu l’agitation du monde. Transistor du voisin. Jet de la douche que l’on pressent par-delà le plafond. Descente d’escaliers quatre à quatre. Dans l’embouteillage déjà formé, un coup de klaxon rageur. Des cris d’enfants dans la rue et leurs pas résonnant sur le macadam. La cloche du tramway comme un rappel à l’ordre... Pouvoir différer le moment où l’on s’intégrera dans la file ininterrompue des gestes de la vie quotidienne qui occuperont inexorablement la journée à venir. Résister à l’attraction de l’urgence à vivre. Déguster l’inaction jusqu’à la dernière goutte, jusqu’à ce que la décision s’impose : accepter l’idée de devoir se lever.

Odeur de café. Gestes coutumiers du quotidien : mettre la table, beurrer ses tartines, verser le café dans le bol, faire la vaisselle. Quatre-vingt pour cent de notre vie est faite de gestes reconduits jour après jour par automatisme. De cet amas d’habitudes, j’ai prélevé quelques événements réalisés avec une sorte de plaisir simple sans cesse renouvelé : chaque fois identiques, chaque fois différents. Laver le bol d’après le déjeuner fait partie de ces quelques joyaux extraits de la masse uniforme qui compose mes jours. Avec quelques autres tels que préparer le feu de bois l’hiver, ou encore, balayer la terrasse les matins d’été. Avec des gestes méthodiques, quasi obsessionnels, offrir un soin chirurgical à chacun de ces actes donne un piquant particulier à ce qui, autrement, ne serait qu’ennui et sacerdoce.

Chaque matin également, avant d’aller au travail, je lis un quart d’heure (je vous laisse deviner où). Pendant ce quart d’heure, j’oublie tout : ce qui m’entoure, ma femme, le travail, ma famille, mes amis, les soucis du moment, la journée à venir. Tout se dissout et disparaît derrière les lignes du roman. Pendant ce quart d’heure, je vis au cœur d’une autre histoire, aux côtés de personnages fantasques dont je partage les joies et les peines, les projets, les déceptions, bien plus intensément que s’il s’agissait de proches. Aucun barrage ne nous sépare. Aucune incompréhension ne nous égare. Je crois que ce quart d’heure, hors du temps, est ce qui me prépare le plus sûrement à passer une agréable journée. Le meilleur antidote aux soucis du quotidien qui nécessairement viendront me rejoindre… dès que j’aurai tiré la chasse !

Christian LEJOSNE


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