« La controverse de Valladolid » ou la présence actuelle d’une controverse dépassée

samedi 9 mai 2015
par  Paul MASSON
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Étrange impression à la lecture de « La controverse de Valladolid » de Jean Claude Carrière.
L’histoire relate une dispute qui agita, il y a cinq siècles, l’intelligentsia de la chrétienté européenne et les plus hautes autorités politiques et religieuses de l’époque. Il s’agissait, ni plus ni moins, de « décider de la nature exacte des indiens » : « Ont-ils une âme semblable à la notre ? » Peuvent-ils « comme nous, prétendre à la vie éternelle ? » (p 100) Il fallait alors « décider... si ces indiens sont des êtres humains achevés et véritables »... ou « des êtres d’une catégorie distincte... les sujets de l’empire du Diable ? » (p 46)

Pour un occidental du XXIème siècle, le sujet de cette controverse frise l’absurde tant la représentation du monde a changé en cinq cents ans. Et pourtant ...

Écoutez plutôt1 :

Au XVIème siècle, Guinès de Sepulveda, docteur d’université, spécialiste de la question, déclare, parlant des indiens :« Ils se sacrifient et se massacrent les uns les autres, ce qui donne aux nations chrétiennes une forte raison d’intervenir  » puis il propose, pour mettre fin à ces pratiques sauvages : « la guerre sainte au nom de Dieu … pour sauver des vies . » (p 144) « La guerre sainte » me renvoie aux fanatismes religieux de toutes les époques, mais également à la mobilisation du « camp du bien contre le camp du mal » proposée par Bush pour justifier l’intervention américaine en Irak.

Lorsque je lis : « Ils refusent de travailler, ils croient qu’ils ont le droit de ne rien faire, ils croient que c’est ça la liberté.... Ils s’enfuient, ils se cachent pour échapper au travail. ( p 239 )
« Le fait qu’ils rejettent l’Évangile est donc bien la preuve de cette méchanceté que je dis. Ils sont placés par naissance hors de l’effet de la grâce divine » ( p 171)
J’entends, comme en écho, les phrases de notre premier ministre, concernant les Roms « des gens qui ne respectent pas les règles » preuve « qu’ils ne peuvent pas s’adapter. »

Quant à la tirade : « Les indiens sont de grands pécheurs, fornicateurs et cannibales. Leur intelligence est grossière et leur sens artistique nul... » ( p ) elle rejoint : « Les immigrés sont... , les arabes sont... » « les sans papiers sont... » « Les gens du Nord sont... » et tous les discours des « imbéciles heureux... nés quelque part » qui pensent à travers des généralisations et à partir de leurs préjugés.

Ce détour par une époque révolue, permet une distanciation et donne le moyen de retrouver tous les éléments des argumentaires fallacieux : utiliser une formulation, qui se présente comme logique, construite sur des préjugés largement répandus. Elle donne l’impression que l’idée défendue est une évidence, et permet de proposer ou justifier les pires actes, au nom de nobles valeurs.

La présence, dans les coulisses de ce débat mi-philosophique, mi-théologique, de deux colons, sans statut officiel dans les plaidoyers, me fait penser aux lobbys qui gravitent autour des cabinets ministériels et des institutions européennes. Pendant tous les plaidoyers, on n’entend pas ces représentants des forces économiques. Mais, juste avant que Salvator Roncini, le représentant du pape, ne tranche, ils interviennent. Ils parlent des indiens « faibles de corps... mauvais pour le travail … » en hommes qui connaissent le terrain. Ils ajoutent « Si en plus il faut les payer, autant renoncer aux Indes... Aux bénéfices du commerce aussi bien qu’au salut de leurs âmes... » (p 240) et ajoute, en point d’orgue au débat :
« Ça, il fallait quand même le dire. »

Là, j’entends « Le discours sur la paix » de Prévert [1] :

"Vers la fin d’un discours extrêmement important
le grand homme d’État trébuchant
sur une belle phrase creuse
tombe dedans
et désemparé la bouche grande ouverte
haletant
montre les dents
et la carie dentaire de ses pacifiques raisonnements
met à vif le nerf de la guerre
la délicate question d’argent."

Je pense alors à la satisfaction de nos gouvernants, aux commentaires réjouis, exsangues de toutes nuances critiques, de la presse, à l’intervention satisfaite du représentant CGT de Dassault-Aviation, suite aux contrats de vente des avions Rafales et des missiles qui suivront. Je pense aux interventions militaires de la France en Libye, au Mali et en Centre Afrique....

Mais « Ça, faut-il le dire ? »

.

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