Les morts sont des invisibles, ils ne sont pas des absents (1)

mardi 3 septembre 2013
par  Christian LEJOSNE
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Imaginez un personnage tout en contrastes. La stature d’un légionnaire romain, grand, puissant, souverain, il pourrait s’émouvoir aux larmes de la fragilité d’une toile d’araignée recouverte par la rosée du matin. Il aurait le verbe sûr, le propos incisif, et pourtant il douterait, il douterait terriblement. Dans ses rapports humains, il aimerait plus que tout, l’amitié sincère, disant ce qu’il pense, allant droit au but, qu’importe ce que son vis-à-vis pourrait penser de lui.

Il chercherait à mener sa vie avec justesse tout se méfiant du mot sagesse. Il n’aimerait rien tant que la solitude de sa demeure isolée au bout du village, le jardinage, les randonnées solitaires, mais se ferait raconter les anecdotes auxquelles il n’aurait pas assisté, qu’il immortaliserait en les notant sur un petit carnet dont il ne se séparerait jamais. Il raffolerait des histoires cocasses que les humains fabriquent chaque jour à la pelle – jalousies, rancœurs, attitudes obsessionnelles ou incohérentes, haine ordinaire, délires, frustrations… observant son prochain en ornithologue. De tout ce matériau collecté, il trouverait matière à écrire des nouvelles, des romans, des polars à la tonne. Sans cesse, il reprendrait ses textes, cherchant la meilleure écriture, tentant toujours de se mettre à la place du lecteur. Chaque matin, il se lèverait à six heures, allumerait son ordinateur pendant que le café passe et écrirait sans interruption jusqu’au repas de midi. Ca ferait un sacré personnage de roman, non ? C’est pourtant un être de chair et d’os ! Il se nomme Jacques Tenneroni, c’est un ami de jeunesse, perdu de vue pendant de longues années, que j’ai retrouvé il y a peu. La vie a coulé, nous a transformés – pour ne pas dire déformés – et c’est au second regard que nous nous sommes reconnus : les mêmes bien que très différents ! Il dit se moquer d’être lu, ne cherche nullement à se faire éditer. Jusqu’à ce que le hasard (ou la nécessité ?) le fasse répondre à un concours de polars. Il envoya son dernier opus qui remporta le prix. Le livre vient d’être édité et s’appelle L’avant dernier meurtre (2). C’est un polar qui se joue dans une vallée des Alpes de Haute Provence où l’auteur réside depuis une trentaine d’années. Le personnage principal, un jeune secrétaire de mairie stagiaire, étranger au village et tenu à l’écart de tout par tous, se trouve confronté à un meurtre mystérieux qu’il tente d’élucider, malgré les menaces à peine voilées dont il fait l’objet. Lui aussi est attiré par les histoires sordides entre villageois comme le papillon de nuit, la lampe. Il va être servi ! Et le lecteur également ! Son enquête le conduira à remonter le temps et l’histoire du village jusqu’au Second Empire…

Anne Ancelin-Schützenberger raconte dans l’introduction de son livre Aïe, mes aïeux ! (3) comment l’idée de la psychogénéalogie (4) lui était venue. Elle était en vacances chez des amis dans le Midi de la France. Réveillée tôt, elle était sortie sans faire de bruit admirer le jardin. Tout était paisible. Les chiens de la maisonnée tranquillement couchés à ses côtés, elle admirait le lever silencieux du soleil derrière la montagne Sainte-Baume. Quand soudain, une voix masculine, assurée, certaine de son bon droit et habituée à donner des ordres, cria : « A table ! Vite, vite, vite, à table !… » Les chiens, s’orientant à la voix, se précipitèrent vers la maison, suivis par une Anne Ancelin-Schützenberger très intriguée. « A table ! Monique, vite ! A table ! Et tiens-toi droite » répéta la voix, impérative. Instinctivement, Anne se redressa. Les chiens s’arrêtèrent et firent le beau devant… la cage d’un perroquet ! Plus tard, pendant le petit déjeuner, le propriétaire des lieux expliqua qu’au décès de son grand-père, il avait hérité du perroquet centenaire qui parlait à s’y méprendre comme on le faisait autrefois dans la famille. Ce matin-là, le perroquet avait reproduit la voix du grand-père, appelant tout son monde au repas, particulièrement ses petits enfants. Personne ne savait ce qui déclenchait la mémoire du perroquet… Pour cet héritier, la famille était toujours là. C’était le passé, le passé toujours vivant et interagissant sur le présent conclut-elle. Le livre de Jacques Tenneroni me fait penser à cet épisode. Dans ce village reculé du monde, le passé continue à interagir sur le présent. Toute la question est de comprendre comment, et surtout pourquoi. Le roman fonctionne comme une mécanique implacable qui tient en haleine jusqu’au chapitre 13 Gare aux superstitieux !

N’hésitez pas à acheter ce livre pour inciter l’éditeur à demander à Jacques de sortir d’autres manuscrits du placard. Pour notre plus grand plaisir !

Christian LEJOSNE

(1) Citation de Saint Augustin
(2) Editions du Bord du Lot, Juin 2013, 235 pages
18 € : Site Internet : http://www.bordulot.fr/detail-l-039-avant-dernier-meurtre-123.html
(3) Edition Desclée de Brouwer, La méridienne, 1993
(4) La psychogénéalogie est la théorie selon laquelle les événements vécus par les ascendants influencent le comportement du sujet


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