Maxence Van Der Meersch

un auteur à redécouvrir
dimanche 12 mai 2013
par  Paul MASSON
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Quand les sirènes se taisent et Pécheurs d’hommes font partie des œuvres littéraires dont j’ai entendu parler, étant enfant, par mes parents. Dans le milieu ouvrier chrétien militant, dont je suis issu, Van Der Meersch était une référence littéraire, au même titre que Zola.

J’ai lu Pécheurs d’hommes, dans les années 1960 lorsque, jeune jociste [1], je voulais connaître l’histoire de l’organisation que je découvrais. - Ce roman raconte les débuts de la JOC dans le Nord de la France. - Mais à cette époque, ma lecture ne va pas au delà de l’histoire. Dans les années 1970, je découvre à Culture et Liberté une fiche INFORDOC [2] déjà ancienne, présentant la vie et les caractéristiques de l’œuvre de Van Der Meersch. Autant dire que cet auteur s’inscrit dans mon patrimoine culturel de départ. Voir [3]
Mais il me faudra aller vivre dans le Nord et dépasser la cinquantaine pour que je m’intéresse aux écrits de Van Der Meersch. En 2007, année du centenaire de sa naissance, les éditions Omnibus3 publient cinq de ses œuvres dont deux sont au programme d’étude de mon fils. L’Université d’Artois organise un colloque sur l’auteur, j’y participe et dans la foulée, je lis trois livres de Van Der Meersch.

- D’abord La maison dans la dune, une histoire de contrebandiers entre la France et la Belgique. Je vois le film du même nom qu’en a tiré Georges Lampin ainsi qu’un autre tiré d’un autre roman de Van der Meersch : Car ils ne savent pas ce qu’ils font.

- Je lis ensuite Quand les sirènes se taisent, le roman que j’ai présenté dans Zola, Philippe, Van der Meersch, trois regards sur la classe ouvrière

- Puis La fille pauvre une trilogie de 440 pages, inspirée de l’histoire de Thérèse Denis, la compagne de l’auteur. [4] Dans le premier livre, Le péché du monde , Van Der Meersch raconte l’enfance de Denise à Paris, dans le deuxième, Le cœur pur , il présente sa jeunesse à Roubaix et dans La compagne , le troisième livre, il parle de sa vie de jeune femme.
Comme Quand les sirènes se taisent-, La fille pauvre, est un roman social. L’auteur nous donne à voir et à sentir la vie ouvrière dans les courées, les filatures et la ville ouvrière de Roubaix. Comme Zola, Van Der Meersch, est un peintre social documenté sur la vie de la classe ouvrière et de la bourgeoisie de l’époque. Comme lui, il fait des liens entre les conditions de travail, d’habitat misérables, d’incertitude du lendemain et les « tares » du milieu. Mais, à la différence de Zola, son approche du monde, marquée par une culture chrétienne, laisse une grande place à la souffrance et à la culpabilité. Van Der Meersch perçoit dans la misère ouvrière le péché du monde . Il fait de la lutte morale des victimes de cette détresse une œuvre de rédemption. La souffrance des cœurs purs leur permet d’atteindre la grâce. Aussi, dans La compagne , l’auteur fait sortir son héroïne au cœur pur, de sa condition ouvrière misérable.

Dans ce troisième livre de la trilogie, Denise, inspirée par la compagne de Van Der Meersch, est une fille de la classe ouvrière et Marc, inspiré de l’auteur lui même, est un fils de bourgeois. Le roman rend compte d’une confrontation de cultures, à travers le regard de Maxence Van Der Meersch. L’auteur, comme Zola, se veut bienveillant pour la classe ouvrière qui peine. Mais conditionné par sa culture bourgeoise chrétienne, il en fait une classe victime du péché. Pour atteindre la grâce (condition de promotion sociale), son héroïne semble devoir assumer un rôle de martyre sauveteur, comme si elle devait pour pouvoir vivre dignement, réparer la faute existentielle de son origine sociale pauvre. L’œuvre n’intègre aucune analyse sociale des rapports de domination de classe. Cette vision réactionnaire handicape une lecture contemporaine de l’œuvre. Le catholicisme doloriste et la philosophie morale expiatoire de l’auteur, aux antipodes des valeurs actuelles, l’ont fait tomber dans l’oubli. Cependant, je pense que Maxence Van Der Meersch est un romancier majeur, un grand auteur pour ses descriptions du Nord et de la vie sociale de la première moitié du XXe siècle.

Jugez en vous même :

« Nous traversâmes cet étrange pays d’usines géantes rangées à la file le long des rues immenses et mornes, coupées de passerelles et de tunnels aériens, et sillonnées de voies ferrées, où circulent des locomotives et des trains de houille, d’acier ou de produits chimiques, parmi les camions automobiles. Nous allâmes jusqu’au canal.... Le pays devenait campagnard et verdoyant, avec de grosses haies d’aubépine partageant des prairies épaisses, et des grandes villas entourées de parcs et de bois. Nous atteignîmes le hameau. Quelques vieilles maisons de briques s’alignaient face à face, séparées par une épicerie et un petit café. » La compagne p 1142

ou encore

« Au total, nous ne décidâmes rien. L’enfant viendrait, et nous aviserions... Un peu paresseusement, au fond, nous nous laissâmes être heureux. » La compagne p 1133

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[1Membre de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (mouvement de jeunes).
Je dispose encore de ce livre dans une publication de 1961 avec, sur la couverture, en gros, la mention « Le livre de poche Chrétien dirigé par Daniel-Rops de l’Académie Française ».

[2Les INFORDOC étaient des petits dossiers mensuels réalisés dans les années 1960 par le CCO (Centre de Culture Ouvrière)

[4De la même manière que Jules Vallès, à partir de sa propre histoire, a écrit L’Enfant, Le Bachelier et L’Insurgé un roman racontant la vie de Jacques Vingtras.


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