Annie Ernaux et autres conflits de loyauté culturelle

Lectures
mardi 5 mars 2013
par  Paul MASSON
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J’ai découvert Annie Ernaux avec « Les années », je l’ai retrouvée avec « La honte » et « La place », puis, j’ai lu d’autres livres d’elle....

Sa lettre au Président pour le coronavirus
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Ses écrits, à base autobiographique, ont tous un intérêt sociologique.

- « Les années » Gallimard 2008
Un écrit sans chapitre, structuré par des séquences de différents âges de sa vie. A chaque séquence, le même plan : une description de photo de l’auteur, ses états d’âme d’alors, un repas familial et quelques commentaires pour situer l’époque.
A travers le plaisir d’un texte agréable, un apport de sociologie illustré et concret, une approche de la lecture du monde à différents âges de la vie...
Ces souvenirs écrits entre « Toutes les images disparaîtront » - la première phrase du livre - et « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais » - la dernière phrase du livre – suscite également une réflexion philosophique.

- « La honte » Folio 1997
L’histoire se passe en 1952. A douze ans, l’auteure, découvre brutalement la différence de culture entre celle de son milieu familial (ses parents tiennent un café dans un quartier populaire) et celle de l’école catholique où elle est scolarisée. La honte, c’est le sentiment qu’éprouve l’adolescente en jugeant la culture de ses parents à travers les valeurs du milieu social qu’elle fréquente à l’école.

- « La place » Folio 1983
Un petit livre dans lequel l’auteure parle de son père. Elle décrit son cadre de la vie, ses activités, sa vision du monde. A travers ce portrait, elle rend compte du milieu social de son enfance, celui où elle est née, où elle a grandi et qu’elle a quitté pour un autre milieu, une autre culture. Narratif, le livre laisse peu de place à l’expression des sentiments. Cependant, la lecture de cette écriture sobre et pudique, suscite l’émotion. Les parents apparaissent vivants, pleins de leur humaine condition, cultivés. Pas riches de la culture livresque de leur fille, mais riches d’une culture qui leur a permis la promotion sociale qu’ils souhaitaient, qui leur a permis de se situer avec d’autres personnes de milieux différents.

En exergue de « La place », Annie Ernaux a mis cette phrase de Jean Genet : « Je hasarde une explication : Écrire, c’est le dernier recours quand on a trahi . »
Pourtant, Annie Ernaux n’a pas trahi ses parents, au contraire, elle a poursuivi la promotion sociale familiale. A la suite de son père vacher devenu ouvrier puis commerçant, elle est devenue, professeure, écrivaine.
Mais, fille d’un milieu social « inférieur », elle vit cette promotion comme une trahison envers la classe sociale d’où elle vient. Cette classe qui, par son travail et ses valeurs, lui a permis cette promotion.

-  Vincent de Gaulejac, dans La névrose de classe [1] donne un éclairage intéressant sur ces sentiments de honte et de trahison présents dans "La honte" et "La place". Il décortique un message paradoxal qu’on rencontre souvent dans les milieux populaires ; explique que le fils (la fille) d’une classe sociale « inférieure », lorsqu’il (elle) accède à une classe « supérieure » répond à un désir de ses parents, mais ne tient pas compte d’un autre désir parental, celui de voir perpétuer la culture du milieu d’origine, ses .valeurs, ses pratiques...

Les livres La honte de 1997 et La place de 1982, laissent poindre le dernier recours quand on a trahi. Mais dans Les années, en 2008, plus de trace de cette tension. Le livre raconte l’histoire familiale pour « sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais »

- « Le retour à Reims » Didier Eribon 2009 Livre de poche
L’auteur a pris des distances avec sa famille pendant plus de 30 ans. A l’occasion de la mort de son père, il retourne à ses origines, revient sur la sélection sociale à l’école et comprend la manière dont il s’est construit.
Je retrouve, comme dans les livres d’Annie Ernaux, la confrontation de cultures entre un fils, prof de FAC, et ses origines ouvrières. Mis, du fait de l’homosexualité de l’auteur, le chemin du fils est différent. Didier Eribon devient un intellectuel engagé.

- "L’autre fille" apporte un éclairage différent de l’œuvre autobiographique d’Annie Ernaux. Christian LEJOSNE en traite dans sa chronique Entre les lignes....

- télécharger la chronique ICI

J’ai également lu
- Retour à Yvetot Annie Ernaux Mauconduit 2013
- Le vrai lieu Annie Ernaux Gallimard 2014
- Mémoire de fille Annie Ernaux Gallimard 2016 (ça première nuit avec un homme pas particulièrement réussie)
- Une femme Annie Ernaux Gallimard 1988 ( sa mère )
et
« Annie Ernaux : le Temps et la Mémoire » Colloque de Cerisy Stock 2014

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- Vous comprendrez mon intéret pour le sujet en lisant Chemins et mémoires


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