Le timbré de la vignette

vendredi 23 mai 2008
par  Christian LEJOSNE
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A la question qu’ai je envie de faire maintenant ? plusieurs fois cette semaine m’ai venue l’idée de m’occuper de ma collection de timbres, délaissée depuis quarante ans, quasi oubliée.

Bizarre sensation que celle-ci, tout droit remontée de mon enfance.

C’est en essayant d’éluder la question que j’ai réellement mesuré la force insoupçonnée de ce désir.

Devais-je réaliser une activité semblable à celle que j’affectionnais, enfant, lorsque je m’occupais de mes timbres : calmement concentré sur une action exigeant à la fois agilité et délicatesse manuelle, réflexion et attention soutenue ?

Ecrire, avais-je immédiatement pensé avant que d’autres activités ne me viennent à l’esprit : dessiner, peindre, ranger des documents.

Feinter avec mon désir, j’y suis arrivé au début, passant à une autre activité – mais cette envie refaisait surface quelque temps plus tard, à tel point que, n’y tenant plus, je suis allé à la recherche de mes albums de timbres, enfouis sous divers cartons au fond d’un débarras.

Gaîment, j’ai ouvert l’album de mon enfance, recouvert du même plastique rouge que je lui ai toujours connu, retrouvant instantanément les sensations d’alors : une sorte de monde fantastique, empli de mystère, de découverte, de problèmes que l’on parvient la plupart du temps à solutionner, de moments de grande patience, de concentration extrême, de rêveries incommensurables, de bonheurs sans limite.

Histoire de m’immerger à nouveau dans ce plaisir perdu, j’ai tourné les pages une à une, posant parfois mon regard sur un timbre en particulier, dont la seule vue me rappelait un souvenir précis mais oublié, et qui revenait, intact, étonnamment conservé, ayant le même goût, la même saveur, provoquant le même enchantement.

Imaginer par exemple, le cheminement du timbre : un client observe attentivement les derniers timbres édités dans le présentoir du bureau de poste, achète précisément le timbre commémorant le vingt cinquième anniversaire du service aéropostal de nuit, payé vingt cinq centimes, valeur d’usage pour une lettre de moins de vingt grammes, tarif postal unique en 1964. Il le colle…

Juste sur le coin en haut à droite de l’enveloppe sur laquelle il a précautionneusement inscrit l’adresse du destinataire à l’encre noire, en belles lettres déliées ; puis il glisse l’enveloppe dans la fente de la boîte aux lettres, relevée à l’heure dite par un préposé des postes ponctuel qui oblitère le timbre à l’aide de la flamme du lieu d’expédition, avant que la lettre ne fasse le voyage en train dans un sac de jute parmi des milliers d’autres lettres.

Kilomètre après kilomètre, les courriers sont répartis selon leurs villes de destination… réceptionnée à l’arrivée, un facteur glisse la lettre dans sa sacoche puis dans la boîte aux lettres, où son destinataire la prend, la soupèse, cherche à en découvrir l’expéditeur, s’aidant de la graphie de l’adresse ou du cachet de la poste.

Le destinataire, s’il est collectionneur, jette immédiatement un Å“il sur le timbre : l’ai-je déjà ? est-il en bon état ? Va-t-il alimenter ma collection ? Moment de bonheur s’il découvre un timbre inconnu d’un pays lointain, s’ajoutant au plaisir des nouvelles fraîches – qui n’a connu de tels instants ne peut comprendre de quoi je parle !

Mon frère aîné me céda sa collection de timbres du monde entier, exceptés ceux de France, seul pays dont il continua la collection ; j’héritais de quelques milliers de timbres, un chiffre alors astronomique… ça devait être en 1964, pour fêter mes six ans.

Nul doute que ce fut le plus beau cadeau que l’on m’ait jamais offert ; qui m’occupa avec passion durant autant d’années ; en feuilletant avec attention mon album, j’ai pu constater que ça n’est qu’à compter de 1971 que je délaisse ma collection – alors que j’ai la plupart des timbres français des années 1960 à 1970, je n’en ai plus que huit en 1971. Et aucun à partir de 1975.

Oubliés alors mes timbres et mes albums. Relégués au fond d’un tiroir, ils croupiront pendant quelques dizaines d’années. Adolescence oblige !

Puis la vie d’adulte prend le dessus sur les jeux de l’enfance ; on pense avoir oublié…

Quel étonnement de ressentir les mêmes émotions intactes après tant d’années.

Retrouver le plaisir de chercher un exemplaire rare de timbre dans le catalogue Yvert et Tellier – quel continent, puis quel pays, quelle période, quelle année, quel type de timbre : poste aérienne, timbre taxe, timbre spécial, timbre postal ordinaire ? Fait-il partie d’une série éditée sur plusieurs années ? Est-ce un timbre rare, ayant connu des réimpressions particulières, a-t-il des défauts spécifiques lui donnant une valeur à part ? Vérifier l’état du timbre – est-il neuf, a-t-il encore sa colle au verso, est-il oblitéré, le cachet de la poste permet-il de lire dans quelle ville il fut oblitéré et à quelle date ?

S’il est déchiré, froissé, abîmé, décoloré, il perd de sa valeur, d’où, l’attraper délicatement, lui trouver un emplacement de choix où le coller – peut-être son dessin est-il reproduit dans l’album ; prendre une charnière dans l’enveloppe où elles sont soigneusement rangées, humecter son plus petit côté et la placer au bon endroit sur le verso du timbre, centré horizontalement et collé dans sa partie supérieure, de sorte que l’on pourra au besoin, retourner le timbre sans le décoller pour vérifier au dos, une éventuelle inscription ou mieux, regarder son filigrane par transparence.

Tenir le timbre entre le pouce et l’index, humecter l’autre partie de la charnière, la plus grande, celle qui viendra se coller sur la page de l’album – sentir le goût caractéristique de la gomme sur la charnière – enfin, appliquer le timbre dans son emplacement, formé de fins traits noirs en un rectangle régulier ; prendre soin que le timbre soit bien placé, ni trop près des timbres voisins afin d’éviter que les dents ne s’abîment, ni penché, afin que l’ensemble de la page ait un rendu harmonieux et plaisant au regard – douleur de voir un timbre abîmé parce que mal collé, ou bien se décollant et s’échappant de l’album, une fois ce dernier refermé.

Une feuille blanche à la dernière page de mon album ; tapée à la machine, une liste de noms de pays classés par continents : une écriture d’enfant, ajoutée au crayon, précise le nombre de timbres par pays, par continent et pour l’ensemble du monde… dans la liste, des pays aujourd’hui disparus : Yougoslavie, U.R.S.S., Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, Soudan français, Congo belge, Ruanda Urundi … le mot TOTAL, en majuscule et à l’encre rouge, clôt cette liste, suivi du nombre 5384, écrit au crayon et plusieurs fois gommé.

Vuadel, c’était le nom du marchand chez qui nous allions acheter nos pochettes de timbres, mes frères et moi, quand nous étions enfants – il tenait une petite boutique avec deux vitrines étroites où il exposait les pochettes en promotion et quelques exemplaires de timbres rares, qu’il vendait à l’unité ; c’était un personnage étrange et sans âge qui écrivait des romans policiers entre deux ventes de paquets de timbres, venant de pays exotiques aux noms parfois étranges :

Wallis et Futuna – dernière page de mon album – Katanga, Qatar, Ras al Khaima, Mahra State, Fujeira … ces pays existent-ils encore ?

XXème siècle, siècle du timbre ; en France, seuls une centaine de timbres furent émis avant 1900. Combien de temps durera encore le règne du timbre au XXIème siècle ? Aujourd’hui, le facteur est un inconnu… un jour prochain, les mails condamneront le courrier.

Y aura-t-il encore une utilité à éditer des timbres ?

Zinzin, c’est ce que l’on pensera alors des derniers timbrés qui collectionneront encore ces petites vignettes, au verso enduit de gomme, autrefois vendues par l’administration des Postes et qui, collées sur un objet confié à la dite administration, avaient une valeur d’affranchissement conventionnelle…

Je referme l’album, recouvert du même plastique rouge que je lui ai toujours connu – il conserve si bien ce monde fantastique, empli de mystère, de découverte, de problèmes que l’on parvient la plupart du temps à solutionner, de moments de grande patience, de concentration extrême, de rêveries incommensurables et de bonheurs sans limite.

Christian LEJOSNE


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