Dans la complicité de nos nuits

jeudi 25 octobre 2007
par  Nicole DUPUIS
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Les hommes et les femmes, rongés du mal de vivre, qui n’en finissent pas de vaciller au bord du gouffre, m’envoient, sans le savoir, à travers leurs silences et leurs refrains obscurs, cette question vertigineuse : « Et toi qu’est-ce qui te fait vivre ? »
Ceux qui végètent depuis trop longtemps dans de vieilles impasses, et ne voient même plus la rosée sur les friches d’automne, me hurlent à travers leurs soupirs : « Mais toi, qu’est-ce que tu aimes dans cette vie ? »

Et ce cri silencieux, chaque fois, me surprend, me bouscule. Je me sens un peu chavirer, à l’orée de leur nuit, étourdie par ce vent de l’abîme ou je reconnais le sillage de mes possibles naufrages. Dans leurs déserts, je vois le socle de mes joies les plus sures trembler comme un mirage, et dans leurs labyrinthes, j’entends s’émousser le bel envol de mes plus chers vagabondages.
« Oui, toi, qu’est-ce que tu aimes, dans cette vie, qui te fasse si bien tenir à la surface ? »
Je sais que c’est un luxe de bien portante, mais j’aime déjà cette question, qui me réveille, me désinstalle…J’aime prendre le temps de glisser mon pas routinier, dans ses remous, avec, en bandoulière, mon bagage vital à re-dépoussiérer sans fin : petits trésors de coin du feu, griseries de secrets voyages …….
Et puis, j’aime l’éternité des questions de l’enfance, m’éclabousser de leurs étoiles, de leurs gifles d’embruns …sans jamais accoster à l’île qui rassure, d’une réponse sûre.
J’aime aussi l’enfance sans questions, qui se coule dans l’air qui passe, et regarde rêver les feuilles et s’ébrouer le chien perdu, comme si la course du monde s’échouait là, dans cet instant…
Ce que j’aime encore ? finalement si peu de choses …. Le doux bavardage des mains qui se retrouvent, sur les paliers, et la résonance d’une voix aimée, dans le temps suspendu …
Et puis l’errance des quais de gare et des salles d’attente… ne rien avoir d’autre à faire, enfin, que d’être là… portée par ce chaud tourbillon de cÅ“urs battants qui me ressemblent …et me laisser toucher par presque rien : un petit mouchoir bleu dans une main pensive, un chapeau démodé, un rire au bord des larmes …
Oui, finalement si peu de choses …
Traverser des hameaux assoupis, sous la torpeur de Juillet, divaguer, dans le désordre frémissant des sentiers, partager un silence, dans le miroitement d’un saule, une déroute de chardonnerets…
J’aime aussi mes randonnées lumineuses dans la plume des autres, au fil des livres et des chants du monde…dérouler avidement l’emballage des mots venus d’ailleurs, pour effleurer, savourer le mystère, chanceler un peu, sur la margelle de la rencontre, et peut-être n’y rien trouver d’autre, qu’une musique qui me désaltère..
J’aime aussi qu’on me raconte les contrées lointaines ou je n’irai jamais….et tous les beaux objets que je n’ai jamais su apprivoiser, ni dans le vernis des vitrines, ni dans la poussière dorée des greniers….Et puis l’éternelle aventure des doigts créateurs au sein de la matière, et mon étonnement inaltérable devant le miracle recommencé d’une œuvre achevée.

« Oui, mais tous ces bonheurs là crèvent comme des baudruches, sans le goût de la vie ? » me murmurent encore tous ceux qui n’en peuvent plus de traîner leur poids de vide, étrangers à toutes ces légèretés du chemin. Et je sais qu’ils ont raison..
Mais il est mystérieux ce goût de la vie, qui va, cahin-caha, entre l’ombrage de nos manques, nourri de longues lassitudes, de tendresses ratées et de matins meurtris, et puis ces « presque rien de plus » qui donnent soudain assez de lumière à l’aurore pour que le jour s’envole...
Je sens leurs enchevêtrements, sur le fil des saisons, ou moi-même j’avance avec mon lourd bagage de fragilités… ou je peux basculer …
Et je ne peux souvent rien faire d’autre que de leur tenir la main, à ces compagnons de croisière, noyés dans le brouillard… être là, avec eux, ce « presque rien de plus » dans l’humilité d’un silence, dans la tendre proximité de notre humanité, dans la complicité de nos nuits, de nos espérances.
Nicole


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