La FORMATION : Une démarche de développement

jeudi 5 juillet 2007
par  Paul MASSON
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Intervention pour introduire une réflexion proposé par le Conseil Régional Nord Pas de Calais sur la formation des adultes.

Dans les années 1980 , avec la montée du chômage, nous avons beaucoup investi dans les dispositifs d’insertion en nous disant : « il y a nécessité que les gens des plus faibles niveaux de qualification puissent réussir à retrouver une place dans la société ».

Au début des années 1990 , nous constatons que l’on n’a jamais mis autant de moyens par rapport à l’insertion et qu’il n’y a jamais eu autant d’exclus. Cela nous a amené à tout un travail de remise en cause sur notre action dans les dispositifs. Cette remise en cause, nous l’avons conduite avec un certain nombre de partenaires.

En 1993 , nous avons organisé un colloque sur l’insertion avec l’AFPA. Puis le fruit de la réflexion collective a été capitalisée dans le livre « L’INSERTION EN QUESTIONS » (ouvrage souvent cité en référence).

Maintenant, où en est-on ?

- Comment situons-nous la formation dans notre action ?
- Comment mettons-nous en œuvre notre projet pédagogique de développement ?
- En quoi notre expérience peut apporter des éléments de réponse au problème du chômage, aux besoins de l’économie ?

C’est l’objet de l’introduction à la discussion que nous allons avoir.

Pourquoi former ? Pourquoi se former ?

Le but de toute formation, c’est de permettre à celui qui se forme de trouver une place et une place utile dans la société.

Cela va être l’élément de mesure, l’élément qui va nous faire dire : cette formation est adaptée puisqu’elle a permis à cette personne de trouver sa place dans la société et cette place lui donne une utilité sociale.

Aussi, derrière toute notion de formation, on va trouver la notion de socialisation avec deux aspects : être en relation sociale et avoir une utilité sociale.

Un demandeur d’emploi inscrit à l’ANPE, un bénéficiaire du RMI, ont une place, un statut social, mais cette place ne leur donne pas une utilité sociale et cela ne peut pas être satisfaisant.

Un premier axe de réflexion va tourner autour de la place de l’individu dans la société. Cette place se trouver sur une ligne de tension entre deux pôles : la société et l’individu : la société va proposer des places à l’individu et l’individu va aspirer à une place dans la société. Mais la société et l’individu n’existent pas d’une manière statique. Ils évoluent. Les deux pôles sont en mouvement. A partir de la tension entre ces deux pôles en mouvement, existe une possibilité d’élaboration d’un projet de société et d’élaboration de l’individu.

Un deuxième axe de réflexion renvoie à l’objet de la formation. La formation va servir à acquérir des savoirs, des savoir- faire, mais la formation renvoie aussi à une réflexion sur l’usage que l’on va faire de ses acquis. La formation renvoie à une recherche de sens. Sens de sa formation d’abord. Apprendre quelque chose qui ne nous servira à rien, apprendre un métier s’il n’y a pas moyen de le pratiquer ensuite, c’est du domaine de la formation « insensée » au sens étymologique du terme.

Dans cette réflexion, on trouve une deuxième ligne de tension entre deux pôles : les savoirs, les compétences d’un côté et de l’autre, le sens. Il convient de tenir en même temps les deux pôles.

A la fois, que les savoirs, les compétences servent à créer du sens et à la fois, qu’à partir du sens que l’on veut donner à une société, à une action, on réinterroge quel type de savoir, quel type de compétence sont nécessaires.

Une démarche de formation qui intègre ces deux tensions s’inscrit au cœur de la vie, au cœur du processus de développement de l’individu et de la société dans laquelle il évolue. Les savoirs, les savoir - faire acquis vont permettre d’avoir emprise sur les choix de la vie et la vie va appeler et susciter de nouveaux savoirs.

Comment mettons-nous en œuvre une démarche de formation inscrite dans ce processus de développement ?

La démarche de formation proposée par Culture et Liberté

Cette démarche peut s’exercer dans des dispositifs (plateforme Illettrisme, dispositifs jeunes, ...), encore que nous avons vu la difficulté de la maintenir au cœur des grands dispositifs d’insertion pensées dans les années 1980 [1] ; mais le domaine de la formation telle que nous l’avons présentée, est bien plus large que les dispositifs.

Je vais présenter trois aspects de notre démarche pédagogique .

1 La base de notre démarche de formation : c’est l’activité collective, l’action. Ce que l’on propose d’abord, c’est de faire. En faisant, il y a déjà des mécanismes d’apprentissage qui se mettent en œuvre. Acquisition de savoir-faire, structuration de ses gestes, de sa pensée. Le « faire » peut prendre des formes très diverses, animer une annexe de la banque alimentaire, faire un journal d’habitants, organiser une fête interculturelle, faire un jardin, de la couture...

Mais ce n’est pas suffisant. Il y a nécessité d’organiser des temps d’arrêt pour parler de ce qu’on fait. A travers cette parole, il y a de nouveaux apprentissages : apprendre à réfléchir, à élaborer des concepts, une représentation collective... apprentissage relationnel, s’écouter, négocier...

2 - Un autre aspect de notre approche pédagogique consiste à permettre la confrontation de
personnes aux statuts différents. Tous les dispositifs de formation sont pensés pour un public. Il y a un côté pratique. Pour les financeurs, cela permet de mettre des limites aux dépenses. Pour les formateurs de se fixer des objectifs opérationnels communs à tous les stagiaires. Mais en même temps, si vous faîtes une formation pour des bénéficiaires du RMI, les personnes viennent à ce titre. Elles viennent avec toute la représentation négative liée à leur statut et vont se comporter comme elles pensent qu’un « RMIste » doit se comporter. Les organismes de formation, les formateurs également vont être influencés par la représentation qu’ils ont du public.

Pour permettre aux personnes d’investir leur formation, nous essayons au maximum de casser cette programmation autour d’un public en regroupant divers publics autour d’activités. Nous invitons les personnes à venir autour de leur intérêt pour telle ou telle activité.

Aussi, c’est leur personne qui est investi et non leur statut. Leur personne a des possibilités, des ressources bien plus importantes que les seules possibilités et ressources que leur statut les autorise à mobiliser.

Cette démarche n’est pas sans poser des problèmes dans l’organisation et la gestion financière de notre association.

3 - Un troisième aspect de notre démarche de formation consiste à organiser des lieux où vont s’élaborer le sens de l’action.

Nous pouvons dire que les personnes viennent à Culture et Liberté par trois portes d’entrée :

- il y a ceux qui viennent à Culture et Liberté parce qu’ils y voient un outil de transformation sociale intéressant. Leur investissement est un investissement militant. Maintenant, on utilise plutôt le terme citoyen. C’est parce qu’ils veulent participer à la vie de la cité qu’ils investissent dans une association d’éducation populaire.

- il y a ceux qui viennent parce qu’on les a embauchés pour faire un travail. Ils sont salariés. Leur investissement professionnel dans un mouvement d’éducation populaire est souvent lié à un désir d’autres rapports sociaux plus égalitaires, moins condescendant avec le « public » du social, du culturel, de l’éducatif.

- et puis, il y a les usagers. Au départ, ils viennent parce qu’on leur propose une activité, parce qu’ils sont au chômage, isolés, insatisfaits de leur situation. Ils viennent parce qu’on les envoie, ils viennent pour voir, ils viennent pour faire...

L’option qui est la nôtre, c’est que la confrontation de ces trois types d’acteurs peut permettre d’élaborer un projet de transformation sociale conforme aux valeurs de DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE qui sont les nôtres.

Il est nécessaire de réussir à articuler les trois, ce n’est pas toujours facile parce que, s’il n’y a que deux acteurs sur trois, assez vite, ça ne marche pas : quand il n’y a que des salariés avec des usagers, de fait, c’est l’instrumentalisation de l’association : les salariés vont travailler pour les financeurs. Il n’y aura pas de transformation sociale, il y aura reconduction du système social. Si on a que des citoyens : avec des usagers, devant la complexité des problèmes et devant la nécessité d’investissement en temps, ils ne débouchent pas. Et quand on a que la confrontation des militants citoyens et des salariés, ça conduit souvent à des conflits stériles sur le compromis à trouver entre un idéal à défendre et une gestion au seul fin d’activités économiquement rentables.
Deux outils support

Voici deux de nos outils qui permettent de se former à l’élaboration d’un projet de développement solidaire.

- Le Groupe Local :

Il consiste à rassembler mensuellement l’ensemble des acteurs usagers, salariés, militants - citoyens, d’un même secteur géographique. Au groupe local, ont lieu les échanges sur ce qui est vécu par chacun dans ses activités, et à partir de cette expression, s’élabore et se modifie le projet local de l’association.

- L’Université Populaire :

La manière dont c’est venu : il existe à Culture et Liberté des Universités d’été. C’est une fois par an, le rassemblement des responsables nationaux du mouvement. Ils se retrouvent pour prendre un temps de recul et de réflexion. Lors d’une Université d’été, il y avait deux familles « usagères » bénéficiaires du RMI qui étaient venues. Elles participaient activement à des activités dans leur quartier.

Seraient - elles intéressées par l’Université d’été ? Nous ne le savions pas. Nous pensions que dans le cas où elles n’accrocheraient pas au contenu, elles pourraient profiter du dépaysement, de contacts avec d’autres acteurs, d’autres régions de France et auraient une opportunité de vacances. Elles ont été intéressées par le contenu tout en disant qu’elles avaient des difficultés pour « tout comprendre ».

De là, est née l’Université Populaire : mettre en place le type de confrontation qui ont lieu au cours des Universités d’été à une autre échelle. Pendant une semaine, des personnes qui ont participées à des activités dans différents lieux du département, se retrouvent pour réfléchir sur leurs activités.

L’Université populaire, c’est un moment où en échangeant sur nos activités, en analysant notre pratique, on réussit à tirer partie de ce qui est vécu individuellement et collectivement. Cela donne la possibilité de reproduire volontairement ce qui a marché et de modifier ce qui a conduit à des insatisfactions. C’est un temps de théorisation.

C’est également un temps où apparaissent les questions sur le sens de ce qui est fait.

Avant on maîtrise un savoir - faire, ensuite on maîtrise en plus une connaissance sur ce savoir - faire. Cette confrontation permet également de réfléchir sur les buts qu’on poursuit et sur le sens de ce qui est fait.

Quelle formation pour l’emploi ?

Alors, formation professionnelle ou formation processus de développement, laquelle faut-il privilégier ? Faut-il privilégier la formation du producteur ou la formation de l’homme - citoyen ? Souvent, la question est posée comme un choix à faire entre deux options. Mais est-ce le bon questionnement ?

La formation professionnelle s’adresse à un marché du travail existant, elle suppose des débouchés professionnelles. Dans la mesure où il n’y a pas de débouchés, dans la mesure où les débouchés sont insuffisants par rapport aux personnes à former. Il y a toute une catégorie de personnes qui seront exclues de la formation. Dans la mesure aussi où on ne connait pas les débouchés futurs, il y aura une catégorie de personnes formées qui seront en échec car formé pour un emploi qu’ils n’ont pas.

Cette formation est pensée en terme de compétition avec des gagnants et des perdants. Le sens de la formation est lié à l’emploi futur, hypothétique.

Avec le chômage, certains se retirent de la compétition. « A quoi cela va t-il me servir d’aller en formation pour me retrouver au chômage à la fin » ? Il se retire devant la télévision et refuse la notion même de la formation qui représente pour eux une course insensée... à l’échec.

La formation processus de développement s’inscrit dans la vie et tout le monde y a sa place [2]
. Elle ne se pose pas en terme de compétition l’un éliminant l’autre. Au contraire, c’est un processus où chacun bénéficie de ce que les autres ont acquis. C’est la capacité collective de dépasser la loi de la jungle. Au cours de ce processus, les apprentissages nécessaires à l’exercice de tel ou tel métier s’inscrivent « normalement » au moment où le besoin existe.

Aujourd’hui, nous sommes en train de vivre une phase de mutation. Nous ne connaissons pas une partie des métiers dont on aura besoin dans dix ans.

Les postes de travail sont en mutation permanente. Nous nous demandons même la place qu’aura le travail dans une génération ou deux. Repartir sur des formations processus de développement personnel et collectif, n’est-ce pas l’investissement le plus sûr pour préparer aux emplois de demain et pour permettre aujourd’hui d’élaborer des réponses aux interrogations de notre société ?

Notre option s’inscrit dans le quatrième scénario d’évolution de la formation présentée dans le rapport BOISSONA : la formation, une coopération productrice de « société cognitive ».

Paul Masson mai 1997


[1(1)Voir « L’insertion en questions » l’Harmattan ; voir également notre « contribution au débat sur les modes de financement ».

[2La vie est un processus de développement qui permet d’acquérir de nouvelles capacités. Ces nouvelles capacités permettent à ceux qui les ont de s’adapter à l’environnement et pour l’homme, être cultivé, de transformer cet environnement.


Documents joints

contribution de Cuture et Liberté au débat sur (...)

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