Le nouveau désordre mondial (2/2)

mercredi 14 mai 2025
par  Christian LEJOSNE
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Suite du numéro d’avril, où l’on tente de comprendre le monde dans lequel nous vivons, depuis l’investiture du 43e Président des États-Unis. Avec l’aide de Giuliano da Empoli, auteur de Les ingénieurs du chaos (1).

Adolescents à vie
Ce qui a également changé ces dix dernières années, ce sont les smartphones et les réseaux sociaux qui ont colonisé le monde. Le tiers de l’humanité est aujourd’hui connecté à Facebook (sans compter les autres réseaux sociaux). En France, cette plateforme est utilisée mensuellement par 40 millions de personnes. Chaque like est une caresse maternelle faite à l’ego. L’architecture entière de Facebook est fondée sur notre besoin de reconnaissance. Elle a été construite pour nous maintenir dans un état d’incertitude et de manque permanent. La rage, disent les psychologues, est l’ «  affect narcissique par excellence » ; elle naît d’une sensation de solitude et d’impuissance qui caractérise la figure de l’adolescent, un individu anxieux, toujours à la recherche de l’approbation de ses pairs, et en permanence effrayé à l’idée d’être en inadéquation. Toutes les études démontrent que les réseaux sociaux tendent à exacerber les conflits en radicalisant les tons jusqu’à devenir, dans certains cas, un véritable vecteur de violence. Une enquête du New York Times a documenté le rapport entre l’usage de Facebook et les violences commises contre les réfugiés en Allemagne. En passant à la loupe 3000 cas d’agressions enregistrées, les chercheurs ont découvert que le nombre d’incidents était directement lié au taux de pénétration de Facebook. De la surexcitation digitale à la récupération politique il n’y a qu’un pas que le parti d’extrême droite AfD s’est chargé de franchir (parti soutenu, depuis quelque temps, par Elon Musk, le patron de X (ex-Twitter), grand ami de Trump).

Campagnes électorales d’un nouveau genre
Au départ, ces plateformes publicitaires avaient pour but de mettre à disposition des entreprises des instruments extrêmement avancés pour atteindre des clients. Mais certains physiciens des Big Data ont vite compris que cela permettait également d’adresser à chaque électeur un message personnalisé pour le convaincre de voter pour un candidat et/ou le dissuader de voter pour un autre. Pendant les dix semaines de la campagne officielle du Brexit, les partisans de la séparation du Royaume-Uni d’avec l’Union européenne ont produit presque un milliard de messages digitaux personnalisés. Elon Musk, patron de X, à peine investi par Trump en tant que responsable du Doge (département de l’efficacité gouvernementale), a fait ponctionner par ses équipes les systèmes informatiques des agences fédérales afin d’obtenir les données personnelles de millions d’Américains (comptes en banque, dossiers médicaux, déclarations fiscales, adresses personnelles...). En toute impunité et sans se soucier des conflits d’intérêts que cela occasionnait.

Le capitalisme de la finitude
Dans une récente interview (2) concernant son dernier livre, Le Monde confisqué, essai sur le capitalisme de la finitude (3), l’historien Arnaud Orain offre une grille de lecture qui rend compréhensible la situation dans laquelle se trouve le monde d’aujourd’hui. Selon lui, le libéralisme économique est en train de céder la place à ce qu’il nomme « le capitalisme de la finitude ». « Ouvertement prédateur, violent et rentier, il s’épanouit sur la fin de la promesse de prospérité universelle, permise par le marché et régulée par le droit. » Les élites économiques et politiques à la tête de cette forme de capitalisme pensent que « le gâteau ne peut pas grossir. Dès lors, la seule manière de préserver ou d’améliorer leur position, faute d’un système alternatif, devient la prédation.  » Nous en avons des exemples sous les yeux : l’invasion de l’Ukraine par la Russie de Poutine ; Trump voulant s’accaparer le Groenland ; la Chine investissant dans des ports du monde entier pour conforter les nouvelles routes de la soie. Ces nouveaux empires refusent la régulation des instances internationales mises en place après la Seconde Guerre mondiale (ONU, Organisation Mondiale de la Santé, tribunaux internationaux...). Dans le monde de ces nouveaux empereurs, seule la force brute compte.

Le pire n’est jamais certain
Partout la résistance s’organise. Les mauvais résultats de Tesla, l’entreprise automobile d’Elon Musk, sont partout à la baisse. Des manifestations géantes ont lieu dans toutes les villes des États-Unis contre la politique de Trump. Si vous êtes sur Facebook ou Instagram, vous avez jusqu’au 25 mai pour empêcher Meta d’utiliser vos données personnelles pour nourrir son Intelligence artificielle (4). « Annoncer l’avenir est toujours un acte de pouvoir. Mais imaginer des futurs alternatifs sera toujours un acte de liberté » a déclaré Da Empoli lors de La Grande Librairie du 9 avril dernier.

Christian Lejosne

(1) Édition Jean Claude Lattès, 2019, paru chez Folio actuel en 2023
(2) Médiapart le 2 février 2025
(3) Flammarion, 2025
(4) Lien vers Facebook ; lien vers Instagram


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