Le nouveau désordre mondial (1/2)

dimanche 13 avril 2025
par  Christian LEJOSNE
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Comment rester calme et serein quand on se trouve coincé entre un Trump volubile disant tout et son contraire et un Poutine qui parle peu et fait, la plupart du temps, l’exact opposé de ce qu’il affirme ? Comment le premier a-t-il pu être réélu ? Pourquoi chamboule-t-il un ordre mondial mis en place à la sortie de la Seconde Guerre mondiale ? Que comprendre de cette situation nouvelle qui semble nous tomber sur la tête du jour au lendemain ? Voilà quelques-unes des questions qui me taraudent depuis l’investiture du nouveau président américain dont je pensais naïvement que ses actes s’arrêteraient aux frontières de son pays.

Les ingénieurs du chaos
En lisant les textes de plusieurs spécialistes de géopolitique, de philosophie et d’histoire, j’ai découvert certaines cohérences marquées par de nombreux signes avant-coureurs que peu de monde avait cependant repérés. Je ne saurais trop vous recommander la lecture du livre de Giuliano da Empoli, Les ingénieurs du chaos (1). Une bonne part de ce qui suit en est extrait :

Le président de la télé-réalité
Depuis son accession à la présidence des États-Unis le 20 janvier dernier, pas un jour sans que Trump ne fasse la Une des journaux. Qu’importe si ce qu’il déclare un jour est l’exact opposé de ce qu’il a dit la veille ou l’avant-veille. L’important est d’occuper l’espace médiatique. C’est ce qui fait sa force. A chacune de ses gesticulations, les médias lui assurent une publicité à bon compte (moi-même, ici !). Un producteur télévisuel a explicité les talents de Trump : « Je travaille dans le monde de la télé-réalité depuis dix ans, et je peux vous dire que Donald est exactement ce que nous recherchons dans nos castings. Il n’est pas compliqué et il est authentique. Tu peux comprendre sa personnalité en l’entendant parler quinze secondes. Son emblème est l’autopromotion. Ses immeubles sont hauts et dorés, avec le nom TRUMP inscrit en lettres majuscules.  » De quoi faire rêver tous les perdants de l’Amérique qui se sont identifiés à un candidat anti-système alors qu’ils votaient pour un milliardaire. « Les téléspectateurs de l’Amérique rurale n’ont eu qu’à observer la réaction scandalisée des élites urbaines face à la candidature de The Donald pour se convaincre que, vraiment, cet homme peut représenter leur ras-le-bol contre Washington  » commentait déjà, en 2019, Giuliano da Empoli, relatant les circonstances de l’arrivée de Trump 1 à la Maison Blanche deux ans plus tôt. Aujourd’hui, Trump 2 fait encore plus de télé-réalité. N’a-t-il pas déclaré, le 28 février dernier, après la façon calamiteuse dont il avait reçu son homologue ukrainien dans le Bureau ovale : « Ça va faire de la bonne télévision. »

Histoire de la colère
Peter Sloterdijk est un grand philosophe allemand. Dans son essai Colère et Temps (2) paru en 2012, il montre qu’un sentiment irrépressible de rage traverse les sociétés occidentales, alimenté par ceux qui, à tort ou à raison, pensent être lésés, exclus ou discriminés. En promettant le paradis après la mort, les religions ont donné, pendant de nombreux siècles, un exutoire à cette rage. Les partis de gauche ont pris le relais à partir de la fin du XIXe siècle. Ils assuraient la fonction de « banque de la vengeance », agglomérant les énergies destructrices qui, au lieu d’être dépensées dans l’instant, étaient investies pour construire une vie meilleure dans le futur. Progressivement, la gauche a perdu sa capacité d’attraction ; faute de parvenir à changer la société, elle a déçu son électorat par sa conversion au libéralisme (quelle différence entre Républicains et Démocrates aux États-Unis ? Entre Hollande et Macron en France ?). Da Empoli prolonge l’analyse de Sloterdijk. Depuis le XXIe siècle, les forces de la rage ont trouvé un nouvel exutoire : elles s’expriment au sein de la galaxie des nouveaux populismes qui, partout dans le monde, dominent chaque jour un peu plus la scène politique. Au-delà de leurs différences, ces mouvements (et les électeurs qui votent pour eux) ont pour point commun de placer en première ligne la punition des élites politiques traditionnelles, de droite comme de gauche, accusées de cultiver les intérêts d’une minorité. Ces ’’perdants du libéralisme’’ ont peur du déclassement et se sentent menacés au sein d’une société multiethnique. Pour les nouveaux docteurs Folamour de la politique, le jeu ne consiste plus à unir les gens autour du plus petit dénominateur commun mais, au contraire, à enflammer les passions du plus grand nombre possible de groupuscules pour ensuite les additionner, même à leur insu. Ils se nourrissent de deux ingrédients : la rage et une machine de communication surpuissante dont nous parlerons la prochaine fois. (A suivre...)

Christian Lejosne

(1) Édition Jean Claude Lattès, 2019, paru chez Folio actuel en 2023. Il vient de sortir chez Gallimard un nouvel essai L’Heure des prédateurs.
(2) Éditions Pluriel, 2012


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