Le fond de la bouteille

mercredi 12 mars 2025
par  Christian LEJOSNE
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Dans une lettre collective récemment diffusée à ses proches, mon amie Sophie écrit : « J’ai maintenant 65 ans : un de ces moments fatidiques où l’on change de catégorie dans les enquêtes, les sondages (jeune/actif/senior) et les tarifs des transports publics. Difficile de ne pas y être sensible, malgré tout, surtout quand on sent ses articulations moins fluides et qu’on voit sa tête blanche et ridée chaque matin dans le miroir. Dans mes activités diverses, il y a parfois des moments difficiles pour moi, quand je suis renvoyée à mon âge / que je ressens le décalage générationnel de façon brutale. » Et elle conclut : « Cela ne se voyait pas trop quand je travaillais, parce que j’aimais mon travail et les relations qui en découlaient, mais maintenant que je suis à la retraite, je me découvre sous un jour différent. Que reste-t-il de soi quand on quitte son costume et son rôle social ? »

Authentiquement démuni
Est-on plus authentique ou plus démuni lorsque l’on a quitté son costume social ? La question est intéressante et elle rumine dans ma tête depuis que je l’ai lue... Le rôle social donne un certain pouvoir, une protection, une carapace de sécurité. Une fois le costume ôté, on n’est plus perçu de la même façon. On est effectivement plus démuni. Il faut faire à nouveau ses preuves, argumenter d’autant... et on n’a plus nécessairement envie de se recoller à cette guerre des ego ou à ces jeux de pouvoir qui nous paraissent alors bien infantiles. C’est peut-être en ce sens qu’on devient plus authentique : on lâche des combats devenus inutiles. On fait la part des choses, on ne se bat que pour ce qu’on pense en valoir la peine.

L’habit fait-il le moine ?
Quand j’étais en formation d’animateur, dans les années 80, j’avais fait un stage audio-visuel où, par petits groupes, nous devions réaliser un court métrage. Celui de mon groupe s’intitulait « L’habit fait-il le moine ? » Nous étions allés frapper à la porte d’une école de formation d’hôtesses, connue sur la place. Nous avions filmé une cohorte de jeunes filles, toutes vêtues du même costume gris anthracite, descendant, avec la même élégance, le large escalier de pierre de l’établissement. Ces jeunes hôtesses ont-elles conservé durant toute leur vie professionnelle le « costume social » qui leur allait si bien ? Aujourd’hui qu’elles sont devenues grands-mères, l’ont-elles remisé ou leur sert-il encore à se tenir bien droite ?

Être peut-être utile...
Depuis quelque temps, une nouvelle activité est venue s’ajouter à mon programme de retraité campagnard. J’écris des articles dans une revue qui couvre trois villages, voisins de celui où j’habite. Quand je distribue le journal aux personnes que j’ai interviewées, je suis heureux et j’ai l’impression que la réciproque est vraie. Je me sens utile à la petite société qui m’entoure. Lorsque je réfléchis aux futurs articles que je pourrais écrire, c’est avec l’idée de faire connaître un service, une action ou une personne apportant un plus à la collectivité. Il est probable qu’en agissant ainsi, je me sois, discrètement, cousu un costume social de substitution... Même si, finalement, très peu de gens m’identifient comme rédacteur de ce journal. Cela se passe davantage dans ma tête que dans la réalité. Mais au fond, n’est-ce pas dans notre tête que tout se joue, la plupart du temps ? On invente, on déforme, on tord la réalité, seconde après seconde, tous autant que nous sommes. L’important est d’en avoir conscience et qu’il n’y ait pas trop de distorsion entre ce que l’on se raconte et la vie.

Christian Lejosne

Le titre de cette chronique est emprunté à la très belle chanson de Romain Didier ’’La retraite’’ qui commence ainsi : « Tiens, c’est le fond de la bouteille/Ça y est nous voilà vieux ma vieille »


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