C’est la rentrée

dimanche 1er septembre 2024
par  Christian LEJOSNE
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J’avais emprunté sept livres à la médiathèque, qui fermait ses portes pour travaux pour les trois mois d’été. C’est un peu comme si, alors que je les lisais successivement, ces livres échangeaient entre eux, se répondaient, tentaient de se mettre d’accord sur quelques invariants de la vie humaine et décrivaient le contexte d’instabilité dans lequel nous baignons actuellement. Au point que, parfois, je ne distinguais plus la fiction de la réalité...

Une sorte de Jésus des temps modernes
J’ai d’abord lu la trilogie Vernon Subutex de Virgine Despentes. L’histoire d’un ancien disquaire en faillite qui se retrouve seul, doit quitter son logement, puis erre de chambres d’hôtels miteux en appartements d’ami.e.s. Il mène une vie de plus en plus dépouillée dans un monde du business et de la consommation (celui qui court des années 1990 à aujourd’hui). Notre héros de pacotille finit par toucher le fond (il se retrouve SDF comme le George Orwell de Dans la dèche à Paris et à Londres). Avant de remonter progressivement le courant, finissant malgré lui par devenir une sorte de Jésus des temps modernes. Un parcours assez semblable à celui de Constance Debré, parcours qu’elle relate dans un livre autobiographique appelé Nom. Tel une mystique, Constance Debré met en pratique le renoncement, de tout ou presque. Quelques années avant d’écrire ce livre, la petite fille de Michel Debré, (rédacteur de la Constitution de la Cinquième République aujourd’hui plus que jamais au bord du gouffre), a tout quitté : son mari, son fils, sa famille, son logement, son travail (elle était avocat, précise-t-elle).

Murakami versus Debré
Tout semble, a priori, opposer Nom de Constance Debré à Chroniques de l’oiseau à ressort d’Haruki Murakami. A l’inverse de Constance Debré quittant mari et enfant, Toru Okada, le héros du livre de Murakami, fait tout pour retrouver sa femme qui n’est plus rentrée, un soir, en sortant du boulot. Constance Debré a écrit un livre autobiographique qui se lit en quelques heures quand Murakami nous entraîne dans une longue fiction de plus de 800 pages. Pourtant, si l’on y regarde de plus près, certaines similitudes apparaissent entre ces deux livres. Tout d’abord, tous deux sont écrits en « je », un je de grand solitaire qui place le lecteur dans la tête du narrateur. Tous deux cherchent à se dépouiller d’un passé encombrant. Constance Debré l’appelle « la vie lamentable » : « ce ronron insupportable de bêtise de violence de laideur ». Elle écrit « que personne n’est qu’une personne, que chacun est l’instrument d’autre chose dans les grands équilibres du monde. »

Se détacher de tout
La vie quotidienne du personnage principal de ces deux livres est orientée vers une forme de dépossession : de son nom, de son enfance, de ses habitudes, de la culture de sa classe sociale. Le héros de Murakami se fait appeler « Oiseau-à-ressort » quand le nom de Debré colle à la peau de Constance. Son souhait, ne rien transmettre : « Pas d’argent, pas de maison, pas d’héritage. Pas même le nom ». Elle tente de se débarrasser de la culture bourgeoise dont elle a hérité, « mieux accrochée en moi qu’une tique sous la peau ». Toutes ces bonnes manières qu’elle déteste « parce qu’elles sont en moi incrustées bien plus que le sang, elles sont plus qu’une langue, elles sont un corps, elles sont mon corps qui fait que je reconnais les autres corps comme le mien. »

Écoutons nos défaites
Dans ces deux livres, la violence du monde est omni présente. La violence de classe chez Constance Debré ; une violence plus existentielle chez Murakami. Une violence qui la rapproche de celle décrite par Laurent Gaudé dans Écoutez nos défaites, roman dans lequel un agent des services secrets français est chargé de retrouver la trace, au Liban, d’un militaire américain disparu. Laurent Gaudé entrelarde cette recherche du récit de trois héros glorieux : le général Grant écrasant les confédérés pendant la guerre de Sécession, Hannibal marchant sur Rome et Hailé Selassié se dressant contre l’envahisseur fasciste. Dans chacun de ces cas, le sang coule abondamment, les morts se comptent en dizaines de milliers. Après la bataille, celui qui se croit vainqueur peut-il être réellement assuré de sa victoire, interroge Laurent Gaudé. Un livre que les grands de ce monde devraient lire, de toute urgence.

Ne pensez cependant pas que le contenu de ces sept livres soit excessivement sombre. A la fin de chacun d’entre eux, une lueur d’espoir transparaît. Sera-t-elle suffisante pour donner le courage nécessaire d’affronter cette reprise ? Bonne rentrée à toutes et à tous !

Christian Lejosne

Virginie Despentes, Vernon Subutex, tomes 1 à 3 Grasset 2015-2017
George Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres, 10/18, 1933
Constance Debré, Nom, Flammarion, 2022
Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, Actes sud, 2016
Haruki Murakami, Chroniques de l’oiseau à ressort, Belfond, 2012


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