Les Cévennes et moi
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On croit tout décider dans nos vies : le métier que l’on exerce, le conjoint avec qui partager l’existence, l’endroit où l’on vit. Sur quoi se basent ces certitudes ? Pour ne parler que du lieu où je vis aujourd’hui, il me semble que les choses se sont passées autrement...
Camping dans la nature
Jusqu’à l’âge de seize ans, je n’avais jamais mis les pieds dans les Cévennes. Nous habitions le nord de la France. Pour les vacances, nos parents pensaient que nous préférions aller à la mer. Aussi avions nous descendu, d’été en été, toute la côte Atlantique, de la Normandie aux Pyrénées. A quinze ans, pour la première fois, je partais sans mes parents rejoindre la bande de copains de mon frère. Ils avaient obtenu du propriétaire d’un mas de Saint Hippolyte-du-Fort (dans le Gard) le droit d’installer leurs tentes sur un vaste terrain, longé par une rivière à sec durant l’été. En contrepartie, il fallait donner un coup de main régulier à José, le jardinier espagnol qui entretenait le domaine et qui n’avait pas souvent besoin de nos mains peu expertes. Le propriétaire du mas était directeur d’une collection aux éditions du Seuil. Il avait mis à notre disposition une grande pièce où passer les après-midi au frais et les soirées à la lumière électrique. Un des copains de mon frère y avait installé le métier à tisser qu’il avait fabriqué et nous avions, à tour de rôle, réalisé une jolie pièce de tissu dont nous étions fiers. En fin d’après-midi, nous allions boire un verre à la terrasse d’un des bistrots du village. Nous avions découvert le coin, fait des randonnées dans la garrigue, visité le Musée de la Soie et le Musée du Désert qui relate l’histoire des Camisards. Nous étions aussi allés à un rassemblement sur le Larzac. Au retour de vacances, j’avais vendu du roquefort, en soutien aux paysans du Larzac, sur le marché d’Arras, et installé à l’arrière de mon vélo un panneau sur lequel était écrit : GARDAREM LO LARZAC
Un air de liberté
Les paysages cévenols m’avaient subjugué : ces monts à taille humaine qui ne sont pas les impressionnantes montagnes inaccessibles et froides des Alpes ou des Pyrénées avec, plantés au cœur des vallons, des villages ayant conservé leur caractère irréductible. Et puis, il y soufflait un air de liberté : c’était la première fois que je partais sans mes parents. L’été suivant, avec mon ami Will, nous traversions à pied les Cévennes, d’est en ouest, de Nîmes à Millau (en passant par Quissac, Sauve, Saint-Hippolyte, le col de l’Asclier, le Mont Aigoual, le Causse noir et la vallée de la Dourbie). Trois semaines de pur bonheur à voyager léger : deux tee-shirts, un short, un pull et de quoi manger pendant un jour ou deux. Sans tente (on dormait à la belle étoile), avec juste un petit réchaud à gaz et une casserole pour cuire des pâtes. Randonner dans la garrigue, remplir nos gourdes aux fontaines, se laver dans les rivières. En trois semaines, nous étions devenus de vrais sauvages, évitant les villages trop touristiques. De passage à Saint-Hippolyte, nous étions retournés dans le mas où l’on avait campé l’année précédente. Nous y avions fait la connaissance de trois jeunes filles de notre âge. On s’était donné rendez-vous quelques jours plus tard au Mont Aigoual où elles devaient nous rejoindre en autocar. Tout énervés à l’idée de retrouver ces demoiselles, nous nous perdîmes dans la montée et arrivâmes avec beaucoup de retard au sommet. Patientes, elles nous attendaient. Je revins, deux années plus tard, dans les Cévennes avec la fille avec qui je partageais alors ma vie. Encore une fois, nous avions randonné en mode ultra léger, dormant sur les places des villages ou dans les jardins publics. Puis la vie d’adulte a pris le dessus. Pendant vingt ans, j’ai oublié les Cévennes. Jusqu’à l’été 2001 où un rendez-vous m’attendait à Montpellier pour un éventuel travail. Nous avions loué un gîte à Saint-Bauzille-de-Putois, sur la route de la Grotte des Demoiselles. On se promena dans les ruelles du vieux Laroque, on mangea au bord de l’Hérault. Puis l’on remonta dans notre Pas-de-Calais natal.
La grande transformation
L’année suivante, on s’installait à Montpellier ; le rendez-vous de l’été s’était transformé en recrutement. Il fallut encore dix années avant que l’on vienne s’installer au bord de l’Hérault. Nous étions des urbains, nous l’avions toujours été. Rien ne nous prédisposait à venir nous installer dans un village des Cévennes où l’on se sent, depuis plus de dix années maintenant, comme chez nous. On croit tout décider dans nos vies : le métier que l’on exerce, le conjoint avec qui partager l’existence, l’endroit où l’on vit. En fait, il n’en est rien ! Nous ne décidons pas grand-chose. Je suis aujourd’hui persuadé que ce sont les Cévennes qui m’ont choisi et qui chaque jour me transforment.
Christian LEJOSNE
Cet article a été publié dans Lo Publiaïre n° 153 d’avril 2024