On vaut plus que ce que l’on croit

mercredi 7 mars 2007
par  Christian LEJOSNE
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Mon dentiste est lacanien. Je sais, ça peut paraître bizarre, mais c’est la pure vérité. C’est lui qui me l’a dit. Je devrais d’ailleurs dire mon dedantiste, tant il travaille en profondeur, soignant à la fois les dents, le corps et l’esprit.

Quand j’ai passé la porte de son cabinet, j’étais un peu inquiet parce qu’à quarante cinq ans, c’était la première fois que je mettais les pieds chez un dentiste. J’avais une vieille peur au ventre, de celle qu’on attrape quand on est enfant et que l’on fait quelque chose de dangereux pour la première fois. Je consultais pour une incisive qui commençait sérieusement à bouger et qui me lancinait de plus en plus fréquemment. On a fait connaissance. Il m’a examiné et m’a dit que le problème de ma dent venait d’un truc difficile que j’avais vécu vers l’âge de 6 ans (!). La première idée qui m’est venue en tête, c’est que mes parents m’avaient fait sauter la dernière année d’école maternelle pour démarrer le cours préparatoire avec un an d’avance. Pour moi, ça avait été difficile parce qu’en plus de mon jeune âge, je n’étais pas bien grand, ce qui fait que je ressentais une sorte d’infériorité vis-à-vis des gamins de ma classe, puis de manière générale vis-à-vis des autres. C’est quelque chose que je traîne encore maintenant, même si ça n’a plus aujourd’hui la même importance : j’ai toujours un peu de difficultés à affirmer mon point de vue, à prendre la parole dans certaines situations …

A la séance suivante, mon dedantiste m’a posé des cales aux molaires, de sorte que mes incisives du bas ne cognent plus sur celles du haut, condition nécessaire pour arrêter le massacre en cours. En sortant de chez lui et en croisant des gens dans la rue, j’ai eu la nette impression d’avoir grandi. Un peu comme si les cales qu’il m’avait mises aux dents se comportaient comme des talonnettes placées sous mes pieds. Plus tard dans la journée, j’ai attrapé mal aux jambes ; le genre de sensation qu’on a, enfant, quand on grandit trop vite, que nos os poussent comme des champignons et que notre corps n’arrive pas à suivre le mouvement. Mon dedantiste m’a expliqué que tout cela n’était pas une simple impression. Un réel changement du centre de gravité du corps se produit après la pose de cales aux dents, changement tout à fait mesurable scientifiquement. N’empêche ! Mon centre de gravité avait aussi bougé dans ma tête (pour son plus grand plaisir !)

Il y a quelques jours, Arte a passé un reportage sur un professeur de morale laïque belge, qui a filmé ses cours pendant plus de vingt ans (1). S’inspirant de la méthode Freinet, il a repris l’idée de la correspondance entre classes pour alimenter les débats avec l’aide d’une caméra. Dans le reportage, il était question d’un échange, par vidéo interposée, entre deux gamins d’une dizaine d’années de classes différentes pendant l’année scolaire 87-88. L’un, Johnny, enfant nouvellement arrivé dans sa classe parce que placé dans une famille d’accueil explique, avec un vocabulaire d’une richesse époustouflante, l’indispensable nécessité qu’il a eu de quitter sa mère avec laquelle la relation ne pouvait qu’être dévastatrice. Sa capacité d’autoanalyse, sa clairvoyance, sa lucidité nous scotchaient devant l’écran. L’autre enfant, Frédéric, avouait face à la caméra, que Johnny l’impressionnait : « Johnny, il sort des mots vraiment formidables. Moi, je ne saurais pas parler comme ça ». Frédéric, enfant heureux, né d’une famille unie, pressentait que la richesse intérieure pouvait aussi naître et s’épanouir dans un environnement hostile ; et surtout que l’expérience était une denrée transmissible…

Quinze ans plus tard, les reporters retrouvent nos deux jeunes devenus adultes, et leur visionnent les images de leur enfance. Ce qui provoque chez Frédéric une terrible réflexion : « On vaut plus que ce que l’on croit être ». C’est drôle, j’ai eu la nette impression d’entendre mon dedantiste.

Freud n’a-t-il pas dit : « il y a trois métiers impossibles : professeur, parent et psy » ?

Christian LEJOSNE

(1) Journal de classe - d’Agnès Lejeune, Jacques Duez et Wilbur Lebegue.


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