L’arbre aux oiseaux

vendredi 6 janvier 2023
par  Christian LEJOSNE
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Dans mon village, la municipalité voulait abattre un platane centenaire. Non pas qu’il soit malade ou dangereux. Non, juste parce que le cabinet d’urbanistes retenu pour rénover la place a proposé de le couper et de planter deux jeunes arbres à la place. Quelques habitants demeurant à proximité ont échangé leurs points de vue au pied du platane. Tous étaient choqués par cette décision. Ce beau platane, qu’une riveraine a baptisé « L’arbre aux oiseaux », procure de l’ombre l’été. Il absorbe du CO2, participant activement à la lutte contre le réchauffement climatique. Les riverains de l’arbre ont aussi fait le constat qu’aucun élu du conseil municipal n’habite le centre ancien du village, de ce fait, ils le perçoivent avant tout comme un lieu susceptible d’attirer les touristes, les riverains, eux, y sont à demeure.

Un jour, des ouvriers, armés de tronçonneuses, étaient arrivés sur le chantier, en vue d’abattre l’arbre. Quelques habitants avaient engagé la discussion avec eux. Le maire, appelé par l’entreprise, s’était rendu sur place. Après quelques palabres sous l’arbre, chacun s’en était retourné chez soi ; les ouvriers s’étant limités à élaguer le platane. Le collectif de « L’arbre aux oiseaux » a alors appelé à une manifestation. Le 19 novembre dernier, une cinquantaine de personnes se rassemblait au pied de l’arbre et partait, avec banderoles et pancartes, à travers les rues du village jusqu’à la mairie toute proche en chantant « Petits en jardinières, anciens couchés par terre, de cette société-là, on ne veut pas ! ».

Éducation populaire
Comme Monsieur Jourdain avec la prose, les personnes à l’origine du collectif de l’arbre aux oiseaux ont fait de l’éducation populaire sans le savoir. Vous aussi, sans doute. Vous qui avez été moniteur de colonie de vacances ou animateur de centre de loisirs, qui avez participé à une formation dans les métiers de l’éducation spécialisée aux CEMEA ou à une activité de la Ligue de l’enseignement, qui êtes adhérent d’un comité de quartier ou militant à ATTAC, vous faites partie de la grande famille de l’éducation populaire. Si je vous parle aujourd’hui d’éducation populaire, c’est parce que je viens de lire L’éducation populaire, un phénix toujours renaissant (1) de Paul Masson. Paul, je l’ai connu il y a plus de trente ans, il dirigeait une antenne de Culture et liberté (2). L’éducation populaire, il la connaît de l’intérieur, il l’a pratiquée durant toute sa vie (3).

Entre deux pôles
En peu de pages (ce livre se lit comme un roman), on y trouve des définitions claires, une approche historique, une analyse des mouvements qui la composent, une aide concrète pour celles et ceux qui veulent faire vivre aujourd’hui la démocratie (car, l’enjeu demeure bien là). Aussi surprenant que ce soit, l’éducation populaire est une notion qui n’a jamais été clairement définie. Elle porte en elle une contradiction majeure inscrite dans ses gènes (4) : sa dénomination même laissant entendre qu’il existerait une force tirant vers le haut ce peuple souverain. Selon les époques et les cultures, la représentation du peuple oscille entre deux pôles. D’une part, le peuple, partie saine de la Nation qui, sans privilèges à protéger, est en capacité d’élaborer et de défendre l’intérêt général et de faire vivre le projet démocratique. D’autre part, une masse inculte aux jugements superficiels, vécue comme classe dangereuse dont il conviendrait de se méfier et d’éduquer pour mieux la contenir et préserver ainsi la société de ses désordres. Toute l’histoire de l’éducation populaire est travaillée par ces questions...

De quel peuple s’agit-il ?
Après la Révolution française, le peuple souverain, qui a renversé la monarchie, est composé de la bourgeoisie naissante, des artisans et des paysans qui représentent la partie la plus nombreuse de la population française. Mais ce n’est que la partie la plus riche de la société, celle qui paye l’impôt et obtient ainsi le droit d’élire ses représentants, de plus, seuls les hommes ont le droit de vote et celui d’être représenté. Avec les lois Jules Ferry de 1881-1882, les instituteurs deviennent la cheville ouvrière de la Ligue de l’enseignement (premier mouvement d’éducation populaire), chargés d’organiser dans leurs écoles, des cours pour adultes, en soirée et les samedis, autour d’un projet national unificateur. Le peuple auquel se réfère ce projet politique désigne alors l’ensemble de ceux qui ne sont pas éduqués. En 1884, les syndicats ouvriers sont autorisés, permettant aux travailleurs de s’organiser en toute légalité. Le peuple équivaut alors à la classe ouvrière.
Dans les maquis de la Seconde Guerre Mondiale, gaullistes et communistes imaginent ce que pourrait devenir le pays, une fois libéré de l’occupant. Mais à la libération, seule l’éducation populaire en direction de la jeunesse est soutenue par l’État, faisant l’impasse sur l’éducation politique des adultes. Maisons des Jeunes et de la Culture, Foyers Ruraux, clubs Léo Lagrange, foyers de jeunes travailleurs, centres sociaux voient le jour et tentent d’assurer, selon leurs propres valeurs, l’éducation politique des adultes. A partir des années 1980, l’État et les collectivités locales, qui ont adopté le modèle néo-libéral, instrumentalisent ces mouvements, apportant des financements aux seules structures qui répondent à la commande publique. La recherche de la paix sociale remplace le souci de l’émancipation collective.

L’éducation populaire, un phénix toujours renaissant ?
Ces dernières années, de nouvelles initiatives émancipatrices voient le jour, certaines se revendiquant de l’éducation populaire. L’association ATTAC, qui lutte pour la taxation des transactions financières liées à la mondialisation, est aujourd’hui présente dans plus de 50 pays et compte, en France, plus de 10.000 membres. Le peuple dont parle ce mouvement sont celles et ceux qui ne font pas partie de l’élite des 1% de plus riches et de leurs alliés. Le mouvement #Metoo, visant à soutenir les victimes de violences sexuelles subies par les femmes, créé il y a tout juste cinq ans, a pris une dimension planétaire et a bousculé les pratiques sexistes ancrées dans tous les milieux (culture, sport, politique, entreprises...). Les 150 citoyens tirés au sort de la Convention citoyenne pour le climat (lancée par le pouvoir suite au mouvement des Gilets jaunes) a été capable de définir 150 mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire l’impact négatif du réchauffement climatique. Face aux défis du temps présent, de nouvelles formes se dessinent pour faire vivre une démocratie renouvelée.

Le platane de la placette
Le livre de Paul à peine refermé, je feuillette le bulletin municipal de fin d’année, tout juste sorti de ma boîte aux lettres. Une pleine page intitulée « Le platane de la placette » attire mon attention. L’article se termine par ces mots : « Nous remercions les habitant.e.s qui ont su s’élever au-dessus du débat par des échanges constructifs avec les élus car avant de critiquer un jugement, il est bon de s’assurer que nous avons les bonnes références. C’est donc par un dialogue maintenu entre élus et habitant(e)s qu’une solution alternative a pu être trouvée. Souhaitons encore de beaux jours au Platane. » Dans mon village, comme ailleurs sur la planète, il arrive que des phénix renaissent de leurs cendres...

Christian Lejosne

(1)Éditions du Petit Pavé, novembre 2022, 166 pages, 20 €.
(2) Culture et liberté est un mouvement d’éducation populaire né en 1971 de la fusion de deux associations créées à la libération.
(3) Chemins et mémoires, le premier livre de Paul Masson, publié en 2014 chez le même éditeur, retrace son parcours militant.
(4) les textes en italiques sont des citations extraites du livre.


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