Éloge de la douceur

lundi 5 décembre 2022
par  Christian LEJOSNE
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Une lectrice attentionnée de L’Air de rien, qui connaît mon goût immodéré pour les textes d’Alain Rémond, m’a fait parvenir un lot d’articles qu’il a publiés dans La Croix. Ce courrier est arrivé alors que j’avais le covid : fièvre, courbatures, maux de tête, grosse fatigue et incapacité chronique à la lecture. Les petits billets d’Alain Rémond tombaient à pic. Tous calibrés sensiblement de la même façon (44 à 46 lignes réparties en deux colonnes), ils se lisent rapidement. C’était idéal pour me sortir de mon semi-coma.

Les petits billets d’Alain Rémond
Le lot que j’ai reçu en comporte vingt-deux. Le plus ancien remonte au 4 décembre 2020 ; le plus récent date du 6 septembre 2022. Ils n’ont rien d’un échantillon représentatif. Plutôt une sorte de carottage réalisé au hasard des deux dernières années. Mais ils portent en eux comme une sorte de révélation de l’état de notre monde actuel à l’heure du réchauffement climatique, de la pandémie de coronavirus, de la guerre en Ukraine et notre incapacité à changer de voie. Notre maison brûle et nous regardons ailleurs (Chirac, 2002, ça ne date pas d’hier !) et chacun continue à jouer avec des allumettes. Certains plus que d’autres, d’ailleurs.

Quel que soit le sujet abordé, Alain Rémond touche juste. Qu’il égratigne l’image du Parti socialiste, reprenant les propos d’un militant désemparé expliquant que le PS reste une marque puissante qui a peut-être besoin d’être relookée mais pas modifiée ; en conséquence, il imagine pour ce parti de nouveaux slogans, du genre « Le parti qui rit ou le parti qui a du slip  ». Qu’il se moque de la campagne électorale de Valérie Pécresse utilisant le téléphone pour racoler : « Bonjour, c’est Valérie Pécresse ! » Aussitôt, je lui dis : Bonjour à vous ! Comment al... » Mais elle fait comme si elle ne m’entendait pas, elle parle toute seule, comme si elle voulait me vendre une chaudière ou des fenêtres. Qu’il dénonce avec humour les campagnes frauduleuses d’un grand distributeur qui propose à ses clients de retrouver l’heure perdue à l’occasion du passage à l’horaire d’été, « Nous vous offrons une heure de vie  ». Qu’il brocarde un courrier administratif ubuesque, signé du directeur général de la santé : « Toutes les personnes contacts à risque sont invitées à informer les personnes avec qui elles ont été en contact à risque depuis leur dernière exposition à risque avec le cas (contact warning de seconde génération) ». Il n’est jamais meilleur que lorsqu’il s’offusque des grandes postures, des grands mots et des grands mouvements de menton dont notre époque semble coutumière : J’ai envie de faire l’éloge de la douceur, de la délicatesse, des gestes esquissés, de ce qu’on ose à peine dire, qu’on se contente de suggérer, comme de timides jeux de lumière à travers les feuilles. J’ai envie de parler de ceux qui ne la ramènent pas, qui chantonnent à voix basse de vieilles comptines d’enfance. J’ai envie de parler de tout ce qui nous donne le bonheur de vivre. De tout ce qui ne fait pas de bruit. Et qui est la vie même.

L’Air de rien n’existerait pas si...
La lecture des billets d’Alain Rémond me réconforte. Elle prouve que le monde n’est peut-être pas si mal fichu qu’il en a l’air et que l’on ne sait rien de la tournure que peuvent prendre les événements. Un acte qui semble, a priori, négatif peut, finalement, s’avérer constructif. J’en sais quelque chose. L’Air de rien n’existerait pas si la chronique qu’Alain Rémond écrivait chaque semaine dans Télérama ne s’était pas subitement arrêtée pendant l’été 2002. Installant en moi un grand vide que j’ai comblé en rédigeant mes propres chroniques. Je l’avais écrit un jour à mon auteur fétiche (1). Voilà ce qu’il m’avait alors répondu : « Votre chronique me touche tellement que j’en reste sans voix... Tout ce que je peux vous dire, c’est ceci : merci du fond du cœur. Et puis peut-être, si je peux me permettre : il y a une vie après Télérama. J’écris chaque semaine dans Marianne et chaque jour un billet dans La Croix. Si le cœur vous en dit... Avec toute mon amitié. A.R. » C’était en 2006. Grâce à l’attention de cette fidèle lectrice, le vœu d’Alain Rémond se trouve enfin exaucé. Ma fièvre a perdu un degré... Qu’en est-il de la température de la planète ?

Christian Lejosne

(1) L’Air du temps n° 29 – Septembre 2006


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