Sur la terre comme au ciel

mercredi 7 septembre 2022
par  Christian LEJOSNE
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A la faveur d’un matin d’été, marcher à pas lents en calant ses pas sur sa respiration : inspirer, expirer. La marche commence en descente et impose de freiner son corps qui veut aller plus vite que la petite musique méditative. Inspirer, expirer. Laisser passer les pensées sans s’y accrocher, comme l’oiseau qui ne laisse pas de trace de son passage dans le ciel. Nous parvenons à un chemin de terre, entre manades et garrigue en fleurs. Éloge de la lenteur. Les petits pas offrent l’opportunité de voir ce que la vitesse ne permet plus : fourmis tirant graines ou fétus de paille jusqu’à l’entrée de leur gîte où elles disparaissent dans de petits trous creusés dans la terre sèche, abeilles butinant les fleurs des buissons, scarabée zigzagant entre les touffes d’herbe rase, cigale sur le point de naître, moustiques tournoyant autour de nos corps, martinets voltigeurs zébrant l’azur de leurs ailes frêles, lourd rapace passant sans un bruit au-dessus de nos têtes... Sur la terre comme au ciel, un peuple invisible avec qui partager le monde. Communauté de destin que, la plupart du temps, nous ignorons. Plus loin, de majestueux platanes ancrés dans le sol, leur feuillage planté dans le ciel limpide, auscultent, incrédules, la file indienne d’humains cheminant en silence.

Cheminer ensemble
Nos petits pas ne sont pas sans rappeler la marche des vieillards, perdus dans leurs pensées, perclus de leur passé. Le parfum des feuilles de figuiers me ramène à ces bâtons d’encens, achetés dans un magasin spécialisé dans les rêves de nature ; l’encens sentait bon, il avait pour nom Sieste sous le figuier. J’en faisais brûler pour me donner l’illusion de repos et de retour sur moi alors que ma vie trépidante d’alors ne contenait ni sieste, ni voyage intérieur, juste cette illusion, aussi tenace que le parfum du figuier qui persiste longtemps après que le bâton ne soit consumé.
Sur le sol, tapissé de pierres biscornues et de cailloux pointus, dépassant de la terre sèche, tout à coup mes yeux sont attirés par un galet plat et rond. Plat comme le plat pays, rond comme la terre, vieux comme l’univers. Que fais-tu là, petit galet, lentement policé par le courant de la rivière dans laquelle tu t’es longtemps baigné ? Combien de temps t’a-t-il fallu pour trouver ta forme actuelle, te faisant accepter de perdre l’ardeur de tes reliefs pour incarner cette silhouette pleine de bonhomie ? L’humain, dont l’espérance de vie est infime au regard de la pierre, peut-il nourrir le même espoir de métamorphose ? Petit caillou échappé de la montagne avant de tomber dans la rivière, quel chemin as-tu parcouru pour que mes yeux t’aperçoivent aujourd’hui ? Nos routes étaient-elles programmées pour cette rencontre ? J’ai forcé le destin : nous cheminons ensemble, toi dans la poche de mon pantalon, moi ressentant ta bienveillante présence lorsque j’y enfonce ma main et que je sens la douceur de ta peau (à l’heure où j’écris cette chronique, le caillou plat et rond me regarde, posé à côté du clavier de l’ordinateur).
Des branches d’un arbuste pendent de petites baies vertes. Semblables à l’enfant, elles ont tout à apprendre. Mûrir pour tout découvrir. Mûrir pour se construire. Mûrir pour ne pas encore mourir...
Sur le bord du chemin, de longues tiges virevoltent dans le vent, comme une marée blanche. Épis, épis, épis. Dans ma tête, j’entends « Et puis, et puis, et puis... ». Perpétuel pépiement des enfants qui piétinent en posant leurs sempiternelles et incessantes questions. Surtout celles qui mettent à mal mon esprit rationnel, trop avide de rassurantes réponses dans ce monde incertain et mouvant. Ainsi vont mes pensées que je sens, peu à peu, se dissoudre et disparaître.

Être toujours
« Le bonheur n’est pas un seul instant, mais un parcours, presque un voyage, qui traverse également mes tristesses. Je ne dois pas m’efforcer de retenir quoi que ce soit, mais me contenter d’être, être toujours. Parce que si le bonheur est un voyage qui ne peut éviter les forêts obscures, denses, menaçantes, alors les moments que nous sommes habitués à considérer heureux, ces petits plaisirs intenses que nous nous remémorons, sont les alpages sur lesquels nous pouvons nous arrêter, ne serait-ce que le temps d’une courte pause, pour savourer l’amer, profond, plaisir d’exister. (1) »

Christian Lejosne

(1) Ilaria Gaspari, Petit manuel à l’intention des grands émotifs, PUF, 2022


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