Attention à la marche

mardi 6 mars 2007
par  Christian LEJOSNE
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La plupart des idées qui ont inspiré l’écriture de cette chronique, depuis bientôt deux ans, me sont venues en marchant. Marcher m’aide à réfléchir. A régler les mille détails quotidiens de ma vie. A trouver l’inspiration. A m’inventer des solutions nouvelles. Marcher est ma seconde nature.

Je suis d’une génération d’avant la reine automobile. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas de voiture à la maison. Tous les déplacements se faisaient à pied. Ca prenait du temps. Ca donnait le sens de l’espace. Ca musclait les mollets. Ca gonflait les poumons. Ca ouvrait l’esprit à la rêverie. Ca donnait un rythme à la vie, adapté aux décisions à prendre. Ni immobile, ni trop rapide. Juste ce qu’il faut de mouvement pour faire partie intégrante de l’univers. Je plains ceux qui n’ont appris à se déplacer qu’en voiture. Leur vie doit ressembler à leurs véhicules : coups de klaxon, embouteillages, dérapages, monde fermé, sens obligatoire, vitesse maximale. Le chemin emprunté n’est plus l’occasion de s’enrichir à mesure qu’il est parcouru. C’est une autoroute dont l’issue est décidée par d’autres que soi.

L’écrit est à la marche ce que la parole est à la voiture. Avec l’écriture, on prend le temps que les mots justes viennent à l’esprit, on peaufine le message, on le lit et le relit, on le corrige, on le modifie jusqu’à ce qu’il exprime le plus clairement possible l’idée que l’on a envie de transmettre. Le lecteur a le temps de le lire à tête reposée, de digérer l’information, d’y revenir autant qu’il le souhaite. C’est le confort de l’échange. C’est de l’artisanat d’art. Le risque de dérapage est plus grand avec l’usage de la parole. A peine pensé, c’est déjà jeté, craché, envoyé à la gueule de celui d’en face, qui réceptionne la nouvelle comme il peut et se voit contraint d’y répondre sur le champ par une autre idée qui n’a pas le temps, bien souvent, d’être elle-même réfléchie. Activité réflexe ne nécessitant le recours ni à la raison, ni à l’amour. Opération instantanée et dématérialisée. Sans trace. Ni vue, ni connue. La comparaison entre la parole et la voiture est particulièrement significative dans l’expression mes paroles ont dépassé ma pensée. La vitesse joue ici à plein. Excusez moi d’avoir écrasé cet enfant qui traversait la route. Je n’ai rien pu faire ! Un flux de paroles peut être aussi assassin qu’un flot de voitures.

Il existe une technique zen qui consiste à ralentir nos gestes pour instaurer le calme en soi et renouer le contact avec nos sens en redécouvrant notre environnement. Paolo Coehlo la propose dans Le pèlerin de Compostelle : Marche pendant vingt minutes deux fois moins vite que ton allure habituelle. Fais attention à tous les détails, aux gens et aux paysages autour de toi. L’heure la plus indiquée pour réaliser cet exercice se situe après le déjeuner. Répète l’exercice durant sept jours (1). Cet exercice, je l’ai testé, malgré moi, ces dernières semaines, à cause – ou plutôt devrai-je dire grâce à – une entorse à la cheville. Je vous invite à le faire sans attendre comme moi qu’un accident ne vous l’impose.

En ayant perdu l’espoir d’un avenir meilleur – qu’il prenne la forme de la croyance en la vie éternelle, en la victoire du prolétariat ou dans la marche irréversible du progrès – nous sommes inéluctablement ramenés vers le présent, comme s’il était le seul et dernier lieu pour réaliser nos désirs. D’où cette course folle vers le toujours plus et le toujours plus vite. Si Darwin a raison, si l’environnement est la cause principale de l’évolution de l’homme, alors nous avons quelques raisons d’être inquiets. Car les enfants de l’automobile ont généré la société de l’urgence, du flux tendu, du temps réel, de la flexibilité… Cette société malade du temps qui court à sa perte. Mais si au contraire, à la façon zen, nous décidions de ralentir nos gestes, si nous apprenions à faire mieux plutôt que plus, peut-être alors échapperions-nous, et la société avec nous, à la grande dépression qui nous guette. Cette maladie qui, tôt ou tard, nous obligera à l’arrêt, individus et société confondus. Autant alors, en prendre l’initiative par nous-mêmes. Pour notre plus grand bien.

Christian LEJOSNE

(1) Le livre de poche – 1996 p. 48.


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