d’un bassin minier à l’autre : l’empreinte de la mine

dimanche 20 juillet 2014
par  Paul MASSON
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En décembre 1981, à trente-deux ans, j’arrive à Lens. Je découvre le Nord.
Je quitte l’ancien bassin minier stéphanois, à l’apogée des « Verts », pour Lens, la ville des « Sang et Or », au cœur d’un autre bassin minier finissant. C’est plus qu’un symbole, car, au-delà du football, les deux cités ouvrières vibrent au même diapason.
Lorsque le samedi après-midi, je vais sur le marché, s’il n’y avait les « chicons » et les « wassingues » je pourrais me retrouver chez moi. Je rencontre une population proche de celle que j’ai connue, avec un petit décalage. A Saint-Étienne, il y a presque une génération que les puits sont fermés ; dans le Nord, la mine est toujours une réalité au début des années 1980. Aussi, par moments, ai-je l’impression de rejoindre le cadre de mon enfance.
Arrivant à Lens, je perçois d’abord ce qui me rapproche de ce que je viens de quitter : l’empreinte omniprésente des mines. Par ses puits, ses terrils, ses cités, la mine marque le paysage, conditionne l’habitat : long alignement de corons, cités minières construites toutes semblables, chantiers des rénovations en cours en ce début des années 1980. Chaque maison de cité, avec autour un jardin, abrite deux familles. Les jardins sont bien entretenus. Bien plus qu’un revenu, le soin du potager, c’est l’honneur du mineur. Homme de l’ombre, enterré, écrasé par le labeur du fond, sur son carreau de terre, il retrouve sa dignité. Chacun donne une touche personnalisée à son jardin, à son logis.
Dans les cités, cependant, quelques maisons diffèrent un peu. Ce sont celles des « porions », les chefs d’équipe. Et un peu plus loin, spacieuses et confortables, les maisons d’ingénieurs sont entourées de murs dans un parc de verdure. Lorsqu’il revient chez lui, l’ingénieur a le droit d’échapper à la mine. La hiérarchie sociale s’affiche hors des fosses.
L’empreinte de la mine marque également la vie sociale, les corps soufflants, malades, usés avant l’âge. Elle marque une culture formée par un métier dur, à risques, déshumanisant ; par la rancœur d’une population victime du métier, mais également résistante. La population des mines du Nord, comme celle de Saint-Étienne, sait que ses droits à la santé ou au logement gratuit d’aujourd’hui sont le fruit de ses luttes d’hier. Elle a intégré sa condition et son histoire : l’insécurité du lendemain, le risque quotidien, l’accident du travail, le drame collectif après l’éboulement, le coup de grisou, la maladie jamais très loin. La silicose est une composante de la vie du mineur de fond, seul importe le taux de silicose, car c’est lui qui détermine l’espérance de vie et le revenu pour vivre. La population des mines connaît l’histoire, les grèves dures, elle sait le rôle des mineurs dans les avancées sociales, elle a conscience des capacités de lutte et de résistance dont elle peut faire preuve. Aussi le mineur est-il fier de son histoire, de sa culture, même si, en connaissant le prix, il souhaite pour ses enfants un autre métier, une autre destinée.

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