Dix-sept ans

mercredi 25 novembre 2020
par  Christian LEJOSNE
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Tout a commencé il y a juste dix-sept ans, le 3 décembre 2003, lorsque fébrilement j’ai appuyé sur la touche Entrée du clavier de mon ordinateur et que s’est diffusée dans les mystérieux tuyaux de l’Internet une première chronique commençant par ces mots : « Ça m’est venu un dimanche ».

Dans ma dernière chronique, je remercie tous les égaux anonymes qui ont contribué, chacun à leur façon, à faire de moi celui que je suis devenu. En appliquant cette idée au seul domaine de l’écriture, je vais, ici, tenter d’en présenter quelques-uns par ordre d’apparition (à l’écran de mes souvenirs). Précisons d’abord qu’il n’y a pas d’écriture sans lecture. Mais démarrer la liste de mes égaux en écriture par cet aspect serait fastidieux. En effet, comptabiliser les auteur(e)s qui m’ont donné le goût d’écrire et les ami(e)s-lecteurs-trices qui m’ont donné l’envie de lire ces auteur(e)s serait un projet irréaliste, tant sont nombreux les uns et les autres.

Mon premier souvenir se situe au collège, en cours de français. Je ne sais plus la classe dans laquelle j’étais élève ni le nom du professeur. Le cours se déroulait, pour une raison qui m’échappe, dans une salle de physique-chimie et nous écrivions sur des paillasses couvertes de carrelage blanc. La consigne d’écriture était de rédiger un texte à la manière de... Ne me demandez pas de quel auteur il s’agissait. Le texte que j’avais rédigé surprit le professeur. Quand je dis qu’il fut surpris, c’est au regard de la médiocrité des travaux que j’avais précédemment rendus. Telle fut la première occasion où je me sentis en phase avec l’acte d’écrire. Le second souvenir – je l’ai déjà mentionné ailleurs – m’est revenu à la conscience un jour où, adulte, alors que j’étais en train d’écrire, j’ai fait le rapprochement avec les lettres que je rédigeais à mon frère, parti vivre en Écosse quand j’étais adolescent. Le plaisir incommensurable ressenti à la recherche du mot juste... A la même époque, pour échapper à nos vies monotones, mon ami Pierre et moi formulions des rêves. Pierre imaginait faire le tour du monde en bateau à voile ou en deux-chevaux-camionnette (son choix n’était pas arrêté). Il m’avait fait découvrir La Gueule ouverte, premier journal écologiste avant que l’on ne parle d’écologie. Les articles consacrés aux coutumes de diverses tribus du bout du monde me donnaient envie de devenir ethnologue. Nous rêvions également tous les deux de devenir écrivains. A l’époque, nous écrivions des nouvelles, des poèmes, le début de romans arrêtés à la fin du premier chapitre, des articles pour des journaux scolaires. Fin du premier acte.

La suite se joue trente ans plus tard, dans une succession d’événements qui, pris isolément, n’auraient sans doute pas porté à conséquence :
Une affiche apposée dans l’entrée d’un centre culturel. Thème de la conférence : « Pourquoi j’ai choisi l’écriture ». Je n’y ai pas assisté et j’ai oublié jusqu’au nom de son auteur. Pourtant, aujourd’hui encore, ces mots résonnent en moi comme un mantra.
Les jeudis soirs, pendant trois ans, faire mes gammes jusqu’à point d’heure à l’atelier d’écriture de la rue du Faubourg de Figuerolles à Montpellier (éternelle reconnaissance à son animateur, Hervé Piekarski).
La dernière chronique d’Alain Rémond dans Télérama : « Parce que vous et moi, c’est fini. C’est la dernière fois que je vous écris. Voilà, c’est ainsi : un jour on doit partir. » Le vide et la frustration laissés qui poussent à s’y essayer par soi-même (il fallut encore un an pour que j’ose demander à mon ami Jean-Jacques de relire un premier texte, et plusieurs allers-retours pour qu’il soit diffusable).
Tout était alors en place pour que démarre la série de chroniques que vous connaissez (encore dois-je ajouter le rôle indispensable joué par mes deux relectrices : Fabienne, inlassable avocate de chaque lecteur de cette chronique, et Odile, correctrice infaillible de mes écrits approximatifs). Puis Paul proposa de les héberger sur son site Internet, et Jean, de les diffuser sur l’antenne de Radio P.fm.

Je ne peux lister mes égaux en écriture sans évoquer ici un événement qui m’incita à persévérer. Pour fêter les quatre-vingt ans de mon père, j’avais rédigé un livret, intitulé Le Fil (1) où je mettais en parallèle les souvenirs qu’il conservait de sa jeunesse et les miens. Ce texte, je l’envoyai à l’Association pour l’autobiographie (2), qui collecte, archive et valorise des textes autobiographiques inédits. Chacun de ces textes donne lieu à un compte-rendu soumis à l’approbation du déposant. Christiane J. se chargea de lire mon livret et en rédigea le commentaire dont voici un extrait : « Le récit croisé de la jeunesse du père et de celle du fils met en relief la différence de leurs conditions de vie. A l’obligation de gagner sa vie dès l’âge de seize ans du père, à son expérience de la guerre, s’opposent la jeunesse insouciante du fils, sa contestation joyeuse et sans risque de la société et son adhésion à un mode de vie alternatif, écologiste et communautaire. « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » : ce n’est vrai que du fils. »

A l’heure où j’écris ces lignes, nous vivons le deuxième confinement dû à la Covid-19. Qui sait s’il ne sera pas suivi d’un troisième dans une longue suite de Stop-and-Go ? Bien que le virus ait, semble-t-il, peu de prises sur eux, les jeunes des années 2020 en subissent toutefois les conséquences : ils sont regardés de travers dès qu’ils ne se soumettent pas aux strictes consignes de distanciation sociale et leur avenir semble bien sombre. La génération qui fut la mienne, celle née pendant les « Trente Glorieuses », aura-t-elle été la seule à pouvoir affirmer : « On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans » ?

Christian Lejosne

(1) Voir Chronique n°19 – Octobre 2005
(2) Site Internet de l’APA : http://autobiographie.sitapa.org


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