Celle que je préfère, c’est la guerre de 14 – 18

mercredi 21 novembre 2018
par  Paul MASSON
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La guerre de 14-18, a fait environ 18,6 millions de morts [1]1, elle a entraîné plus de quatre ans de misère, et tous les continents ont été touchés. Un tel désastre mérite qu’on s’en souvienne, qu’on garde mémoire de cette grande tuerie organisée par les pays civilisés. Aussi, en ces temps de commémoration, je veux apporter ma contribution.

Jeune enfant, la guerre de 14-18, me renvoie « au tonton Johannes ». Nous allions lui rendre visite chaque année, en janvier, à l’occasion des vœux. Et toutes les années, nous avions droit à Verdun, à La Guerre, - il en était resté à celle de 14-18 – et à la patrie qu’il avait défendue... Ces discours agaçaient les adultes, mais ses intonations, ses mimiques nous amusaient ma sœur et moi. Deux générations plus tard, je retrouve ce même amusement chez un jeune enfant devant les mimiques de son arrière grand-père atteint de la maladie d’Alzheimer.

Toujours enfant, mais un peu plus vieux, la mémoire de 14-18 me renvoie à mon grand-père maternel. Lui, n’aborde pas les guerres. Seules ses crises de paludisme, contracté lors d’un séjour à Thessalonique en 14-18, nous rappellent que la Grande Guerre a laissé des traces dans sa chair. Le ton de sa voix lorsqu’il parle des « boches » et sa vénération inconditionnelle du maréchal Pétain laissent percevoir que 14-18 a également laissé des traces dans son esprit. Pour ces deux hommes, la patrie, c’est un bien important qu’il faut défendre inconditionnellement. Et surtout, ne pas se poser de questions. Enfant, je n’arrive pas à concevoir que des humains puissent organiser des guerres. Alors, pour comprendre ce qui pouvait bien les motiver, j’essaie d’interroger mon grand-père. Il parle alors avec animosité de complots, d’alliance entre juifs et francs-maçons. Cette explication ne me satisfait pas. Si j’insiste, son animosité monte. Ma mère, si elle est là, me demande de me taire.

Jeune adulte, la lutte contre l’extension du camps militaire du Larzac, m’amène à réfléchir et à comprendre les enjeux. Cette réflexion me conduit à rejoindre le camp des antimilitaristes.

A plus de trente ans, je quitte Saint-Étienne et m’installe dans le Pas de Calais. Les cimetières militaires peuplant le paysage, les restes d’obus abandonnés au bord des champs, les lieux du souvenir bien entretenus, réveillent ma mémoire. Sur les plaques commémoratives de Vimy, de Lorette… des mots gravés : courage, honneur, héroïsme, sacrifice... Pour moi, les mots attachés aux tranchées et à leurs victimes, je les ai forgés à partir de mes lectures de Tardi [2]. Ses poilus n’ont rien d’héroïque. Dans la boue, le froid, à côté des rats, ils manifestent de la peur. Ils sont hébétés devant la chair humaine déchiquetée, qui se décompose sous leurs yeux dans des no-man’s land, où ils ne peuvent aller relever leur collègues. Hagards, ils ne semblent pas comprendre ce qui leur arrive. L’absurde semble les habiter. Ils ne rêvent pas de gloire ou de victoire, ils attendent, espérant être encore en vie au moment de la relève. Ils rêvent d’une blessure suffisamment grave pour qu’on les évacue du front. Certains vont jusqu’à l’automutilation pour échapper à leur sort de sacrifié, de mort en sursis. Mes mots, loin de ceux gravés dans les lieux de souvenir, sont : peur, absurde, illusion, floué.

Sur le lieu des champs de bataille, soixante-dix ans après les combats, je perçois encore plus la stupidité du discours idéologique inventé pour justifier 14.
En 1918, la France victorieuse avait gagné la guerre. La France avait perdu une génération de jeunes hommes qu’elle avait élevée, puis sacrifiée. Cette jeunesse était tombée au front avant même d’avoir eu le temps de vivre et produire quoi que ce soit pour la génération future. Qu’avait gagné la France ? Notre mémoire commune doit-t-elle conserver le souvenir d’une victoire ou d’un sanglant échec ?

J’ai lu l’un après l’autre A l’ouest rien de nouveau [3] et Les croix de bois [4]. Les deux romans rendent compte de la vie des tranchées, l’un d’Eric Maria Remarque raconte la guerre des perdants, l’autre, de Roland Dorges, celle des gagnants. Or, rien n’est plus proche du soldat perdant que le soldat gagnant : les mêmes peurs, les mêmes attentes que cela cesse, le même désir de retourner chez eux. J’ai également lu Dans la guerre [5] d’Alice Ferney. Jules, mobilisé, est envoyé au front. Pendant quatre ans, deux femmes, son épouse et sa mère doivent seules, s’occuper de la ferme et prendre soin de l’enfant né peu avant le départ de son père. Elles travaillent dur, attendent chaque jour l’arrivée du facteur, prises entre l’espoir de recevoir une lettre de Jules et l’angoisse de recevoir La lettre annonçant sa mort. Cette lettre que d’autres femmes au village ont déjà reçue. Le sort et les sentiments des femmes allemandes, de l’autre coté de la frontière, étaient-ils différents ?

Ceux de 14, qui en sont revenus, sont-ils plus proches de celles qu’ils retrouvent au village ou de ceux d’Allemagne qui ont partagé, pendant quatre ans, la vie des tranchées. En 1918, les hommes qui rentrent chez eux, abîmés dans leurs corps et leurs esprits ne sont plus ceux qui sont partis. Celles de 14, qui ont produit la nourriture, soigné les animaux, élevé les enfants, pendant quatre ans, sont-elles plus proches de ces hommes qui reviennent ou des inconnues, qui de l’autre coté de la frontière ont vécu les mêmes contraintes du travail, ressenti les mêmes craintes, les mêmes angoisses ? La France doit-elle garder mémoire de patriotes défenseurs de frontières qui ne correspondent à rien de réel pour les femmes et les hommes qui sont de part et d’autre ?

De quel héroïsme doit-on garder mémoire ? Viendrait-il à l’idée de qualifier de héros, les millions d’africains et africaines, envoyés en esclavage aux Amériques ? Ces hommes et ces femmes sont des victimes de ceux qui ont organisé l’esclavagisme, pas des héros. Par leur travail, ils ont produit de la richesse dont l’Europe a tiré profit. Nous devons, à leur égard, garder la mémoire de l’inhumanité de l’esclavagisme qu’ils et elles ont subit. Nous devons garder en mémoire qu’une grande partie de la richesse de l’occident, nous la devons à leur travail forcé. Mais nous n’avons pas à honorer leur courage, leur héroïsme, leur sacrifice. Ils n’avaient pas le choix. Les Poilus, pas plus que les esclaves, n’avaient le choix. Comme eux, ils ont été contraints de faire ce que d’autres avaient décidé pour eux. Ce sont les victimes des marchands de canons et de leurs complices qui ont organisé la guerre, ce ne sont pas des héros. A la différence des esclaves, les soldats de 14-18, quelle que soit leur nationalité, n’ont produit aucune richesse dont nous pourrions leur être redevables. Ils n’ont produit que des destructions. Ils n’ont engendré que la mort et la souffrance dont ils ont été les premières victimes.

Plus tard encore, j’ai lu Roux, le bandit [6] d’André Chamson. L’auteur rapporte une histoire qui se racontait à la veillée, dans son village des Cévennes en 1925. Roux, lorsqu’il est appelé en 1914, fuit dans la montagne et s’y cache. Pour les villageois, ce garçon a fait quelque chose qui n’est pas bien… C’est un couard, Ce garçon-là n’est pas honnête, et devient pour toutes et tous : Roux, le bandit. Recherché par les gendarmes, il réussit à leur échapper durant plusieurs années. Finalement, il est pris et emprisonné. La guerre finie, les représentations évoluent. Roux emprisonné est source de gène dans le village. Les jugements changent. Et, le déserteur de 1914, Roux le bandit, devient dans l’histoire qu’on raconte en 1925, un modèle de juste, fidèle à son Dieu qui lui a dit : Tu ne tueras point.

En 1915, des mutineries ont lieu au front. Six cents cinquante six soldats ayant refusé d’obéir pour monter à l’assaut sont passés par les armes. Ces mutins n’étaient pas contraints de désobéir. Ils ont choisi la désobéissance, dans un contexte où leur choix était mal jugé. Plusieurs centaines en sont morts.

N’est ce pas aux actes de Roux le bandit ou à ceux des mutins que devraient revenir les termes de courage, héroïsme, sacrifice… N’est ce pas ces hommes qu’il convient d’honorer  ? N’est ce pas de ces hommes et de leurs actes que nous devons garder une mémoire commune ?

Oui, il convient de se rappeler et commémorer 14-18. Pour cela, je propose à chacune et chacun d’entre vous de joindre votre voix à la mienne et à celle de Georges Brassens pour chanter : Celle que je préfère, c’est la guerre de 14 – 18.
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas la chanson – La mémoire collective a parfois des lacunes de retransmission – ou qui auraient oublié les paroles - La mémoire individuelle en a également
- voici les paroles,
- et son interprétation par l’auteur-compositeur lui même.


[1Sources : WIKIPEDIA : Pertes humaines de la Première Guerre mondiale

[2Adieu Brindavoine, La fleur au fusil et C’était la guerre des tranchées Tardi Casterman

[3A l’est rien de nouveau Eric Maria Remarque Le livre de Poche

[4Les croix de bois Roland Dorgeles J’ai lu

[5Dans la guerre Alice Ferney Babel

[6Roux le bandit André Chamson France Loisir


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