Des mots pas imaginables...

samedi 6 janvier 2018
par  Christian LEJOSNE
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A l’époque, on recevait pour les cérémonies des cartes que l’on conservait et qui formaient des tas plus ou moins hauts selon notre âge. Cartes de vœux, d’anniversaire, de Noël, de Saint Nicolas si c’était un garçon, de Sainte Catherine si c’était une fille, jusqu’à tant qu’elle coiffe ses vingt-cinq ans, qu’elle soit casée et apprenne à ses enfants à conserver les cartes comme elle l’avait fait elle-même et comme l’avait fait sa mère avant elle. On pouvait d’autant mieux les conserver que les mères restaient à la maison et que l’on ne divorçait quasiment jamais.

A l’époque, on naissait à la maison – suite à la méthode Ogino, aux résultats contraceptifs aléatoires – avec le médecin de famille et une sage-femme appelée à la rescousse quand c’était nécessaire. On mourait aussi, le plus souvent, dans son lit, à la maison.
A l’époque, les banques étaient au coin de la rue et l’on y passait déposer l’argent de la quinzaine, donnée par le patron en liquide, de la main à la main.
A l’époque, on se lavait à l’évier de cuisine. La plupart des maisons n’avaient pas de salles de bain et l’on allait faire ses besoins dans des WC pas chauffés, installés dans la cour.
A l’époque, on faisait la lessive dans une machine dont on remplissait la cuve avec un seau. Une fois que l’eau avait chauffé, on sortait le linge avec un bâton et on l’enfilait entre deux rouleaux en caoutchouc que l’on tournait avec une manivelle pour l’essorer. Comme cela prenait beaucoup de temps, on ne changeait pas trop souvent de vêtements.
A l’époque, on ne partait pas tous les ans en vacances, quand on avait la chance d’en prendre. On n’avait pas nécessairement de voiture. Pour se déplacer, on prenait l’autocar ou le train, en ayant auparavant préparé son voyage grâce au Chaix, catalogue de la SNCF où étaient répertoriés les horaires des trains en partance pour toutes les directions.
A l’époque, on prenait déjà des photos souvenirs ; le plus souvent des diapositives que l’on projetait le soir, après le repas, sur un drap tendu au mur pour l’occasion.
A l’époque, quand on recevait un coup de téléphone, c’était le voisin qui venait sonner à votre porte pour vous dire d’aller chez lui pour répondre. Le système n’étant pas pratique, on ne s’appelait que pour des nouvelles importantes.
A l’époque, on allait faire les courses à pied (on disait faire les commissions), en passant chez le boucher-charcutier, le boulanger, le marchand de fruits-et-légumes espagnol. On allait aussi à la Coop où l’on trouvait tout le reste : la lessive, le savon, les conserves, les vêtements pour habiller la famille. La vendeuse disait : un pyjama à rayures rouges en 42 ? J’en n’ai plus ! Mais prenez celui-là, c’est du 44 à lignes vertes, ça ira très bien aussi  ! et le client qui était une cliente repartait avec, dans son cabas, ce vêtement qu’elle n’avait pas choisi. On rentrait, fourbu d’avoir tant marché, les bras chargés de paniers dont il fallait vider le contenu en descendant à la cave le ranger dans le garde-manger. La Vie Claire était la seule boutique vendant des produits biologiques. On entrait dans ce magasin austère comme si on allait à l’église.
A l’époque, on mangeait dans des assiettes reçues en cadeau de mariage sur une table en bois dont on avait héritée ou que l’on venait de remplacer sur une nouvelle, en formica.
A l’époque, on écoutait au choix l’une des trois stations des grandes ondes du transistor et quand une camionnette passait dans la rue, ça faisait des drôles de crachouillis dans le poste. Les tubes duraient parfois plusieurs années ; c’est pourquoi l’on connaît encore, des années plus tard, des couplets complets de chansons que l’on n’avait pas choisi d’écouter. Johnny Halliday était l’idole des jeunes... mais des jeunes de vingt-cinq ans tout au plus. On allait acheter des disques vinyles – des super quarante-cinq tours quatre titres ou des trente-trois tours avec de jolies pochettes – chez le marchand d’électro-ménager, qui avait installé un rayon Variétés.
A l’époque, il y avait du travail pour presque tout le monde, et la plupart des gens faisait leur carrière dans la même boîte. Ceux qui étaient au chômage allaient chaque mois à l’ANPE faire apposer un petit tampon sur leur carte de pointage. La queue s’étendait souvent jusque sur le trottoir.
A l’époque, seule La Gueule Ouverte parlait d’écologie et envisageait la fin du monde. La plupart des gens prenaient ses rares lecteurs pour de doux illuminés.

Des mots que nous employons aujourd’hui n’étaient, à l’époque, tout simplement pas imaginables : IVG, péridurale, TGV, centres commerciaux, réchauffement climatique, Union européenne, Brexit, téléphones portables, SMS, Internet, réseaux sociaux, CD, DVD, multimédia, chaînes câblées, chaînes cryptées, jeux vidéo, intelligence artificielle, podcast, bitcoin... Ce monde, toutes celles et de tous ceux de ma génération l’ont traversé sans vraiment se rendre compte qu’ils allaient effectuer ce que l’on nommerait la troisième révolution, celle du numérique. A l’époque, c’est à dire dans les années 1960... quand j’étais petit garçon.

Christian LEJOSNE

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