Chacun cherche une Présence...

lundi 6 février 2017
par  Christian LEJOSNE
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Guy Corneau est mort, le 5 janvier dernier. C’est par un mail, reçu en fin d’après-midi, que je l’ai appris. Guy Corneau était un psychanalyste jungien qui consacra sa vie à écrire des livres, donner des conférences, animer des ateliers nous invitant à redécouvrir nos aspirations profondes. A rencontrer, nourrir et exprimer Le meilleur de soi  [1].

Au fur et à mesure que le jour finissait, je sentais enfler ma tristesse. Je me suis mis à pleurer, incapable de la moindre parole. Plus la soirée avançait, plus je pleurais. Ma femme a fini par proposer que l’on fasse une méditation pour lui et ses proches. Elle a regroupé ses livres, allumé des bougies, formulé quelques mots. Moi, j’en étais incapable. J’étais comme anéanti. Pourquoi la nouvelle de sa mort me plongeait-elle dans cet état ? Je ne le connaissais pas intimement. Je ne l’avais vu qu’une fois en conférence, il y a quelques années, lorsqu’il était venu présenter son dernier livre, Revivre  [2], qui relate son combat contre un cancer tardivement diagnostiqué et dont il avait réussi à guérir. Ma femme me l’avait fait découvrir avec N’y a-t-il pas d’amour heureux ?  [3] . J’avais lu ce livre comme s’il avait été écrit pour moi. J’ai lu ensuite tous ses livres. J’ai parlé de Guy Corneau autour de moi. J’ai mis en pratique certains des outils qu’il proposait. En particulier, le « kit du parfait petit Sauveur » qu’il présente dans Victime des autres, bourreau de soi-même  [4] : « Avant de se précipiter au secours d’autrui, le parfait petit Sauveur devrait toujours avoir, dans son kit de survie, cinq questions à se poser [5] » . Combien de fois, avec une collègue de travail, avons nous utilisé ce kit du parfait petit Sauveur ? Nous en avions fait une affiche, collée au mur du bureau pour mieux le mettre en pratique. C’était devenu une sorte de réflexe qui nous fut souvent utile et qui nous a occasionné, par la même occasion, de bonnes raisons de rire de nous-mêmes.
J’ai changé au contact des idées de Guy Corneau, dans la façon de voir la vie, de vivre ma vie. Il était devenu pour moi une sorte de père de substitution … moi qui suis en perpétuelle quête de père, même après avoir lu Père manquant, fils manqué  [6] . J’ai intégré un de ses poèmes à la fin du Fil, un texte entrecroisant l’enfance de mon père et la mienne, dans un premier livre que j’avais offert à mon père, à l’occasion de ses quatre-vingt ans. La mort de Guy Corneau me mettait dans le même état qu’à l’annonce de la maladie de mon père : la sidération ! Tous deux étaient, pour moi, immortels. Des sortes de sur-hommes qui éclairaient ma vie. Et qui continueront à l’éclairer éternellement.

Marie de Hennezel est également une psychanalyste jungienne, spécialiste de la fin de vie, rendue célèbre par la publication, en 1995, du livre La mort intime  [7] , préfacé par François Mitterrand. Elle vient d’écrire Croire aux forces de l’esprit  [8] où elle relate son étonnante rencontre avec François Mitterrand et les échanges réguliers qu’ils ont eus lors des douze dernières années de la vie de ce personnage complexe. Homme à tiroirs étanches, le témoignage apporté par Marie de Hennezel nous permet de découvrir un autre François Mitterrand, « homme intérieur, curieux des choses de la mort et de l’esprit. » Un homme qui faisait davantage confiance à ce qu’il sentait qu’à ses pensées rationnelles. Un homme qui allait dans les églises désertes pour méditer. Un homme qui aimait toucher la pierre ou les livres, afin de ressentir leur puissance énergétique. Un homme qui sentait « une Présence, physique et palpable ». On découvre, avec ce livre, qu’il fut longtemps tiraillé entre deux pôles : pouvoir et spiritualité. Il avait une ambition hors du commun : c’était un enfant très secret qui voulait être pape ou roi, qui s’exerçait à prononcer de grands discours devant une foule d’oiseaux. Il avait aussi un penchant pour la spiritualité qu’il tenait sans doute de sa mère. Quelques jours avant de mourir, sa mère qui était très croyante, avait dit qu’elle donnait ses souffrances pour l’âme de son fils François (elle avait sept enfants). De cela, il se sentit toujours redevable. Il y pensait tous les jours. Un jour, il confie à Marie de Hennezel : « Dans une vie menée par l’ambition, l’amour ne peut être qu’une pause, une bénédiction passagère. Car il faut bien repartir, continuer l’ascension. L’amour ne peut être un but en soi, ni même un vecteur. J’éprouve une curiosité et une certaine nostalgie devant des personnes qui, comme vous, font de l’amour l’essentiel de leur vie. Je suis mené par autre chose. »

Lorsque Marie de Hennezel lui fait découvrir un menhir celte, François Mitterrand y pose longuement les mains, les yeux fermés, le visage concentré, comme s’il se rechargeait en énergie. Puis, se tournant vers Marie : « Vous savez ce que je pense : les hommes politiques devraient passer plus de temps en silence dans les lieux chargés d’énergie. Ils devraient toucher les dolmens, les pierres levées, cela leur communiquerait une solidité tranquille. » Puissent ses propos être prémonitoires, en cette période électorale...

Christian LEJOSNE

Christian a publié chez L’Harmattan "Le silence a le poids des larmes"


[1R. Laffont, 2007 – J’ai lu

[2Editions de l’Homme, 2011 – J’ai lu

[3R. Laffont, 1997 – J’ai lu

[4R. Laffont, 2003, J’ai lu

[5Brièvement résumé, cela donne :
1. Est-ce qu’il y a une demande clairement formulée ?
2. Qu’est-ce qu’on attend de moi au juste ?
3. Est-ce que j’ai la compétence nécessaire pour aider réellement dans ces circonstances ?
4. Est-ce que j’ai vraiment la disponibilité pour faire ce que l’on me demande ?
5. Est-ce que j’ai le goût d’aider cette personne ?

[6Éditions de l’Homme, 2003 – J’ai lu

[7R. Laffont, 1995 - Pocket

[8Fayard, 2016


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