Le coup de Barjac !

mardi 30 août 2016
par  Christian LEJOSNE
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L’expression Coup de Jarnac possède une connotation injustement négative. Voici la définition qu’en donne Emile Littré : « Gui de Chabot Jarnac, dans un duel, le 10 juillet 1547, fendit d’un revers de son épée le jarret à son adversaire François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie. Ce coup fut trouvé très habile et fournit une expression proverbiale, qui a pris un sens odieux ; mais c’est un tort de l’usage, car le coup de Jarnac n’eut rien que de loyal, et le duel se passa dans toutes les règles de l’honneur. » Coup de Barjac deviendra-t-elle l’expression du prochain millénaire désignant une décision qui provoque un véritable changement ?

Dans le tonitruant discours poético-politique qu’il fit, lors de l’inauguration du festival Barjac m’enchante (1), le 30 juillet 2016, Edouard Chaulet, maire de cette commune du Gard qui accueille ce festival de chansons depuis sa création, rendit hommage aux bénévoles administrant l’association Chant libre, organisatrice de cette manifestation. Il confirma le soutien de sa collectivité à ceux qu’il appela les mutins d’octobre, expliquant qu’une partie des bénévoles s’était rebellé l’an dernier afin de sortir le festival de la routine dans laquelle il s’était progressivement installé, en désignant un nouveau directeur artistique.

Pour expliciter la programmation 2016, un seul exemple. La première soirée accueillait Philippe Torreton, prêtant sa voix aux textes d’Allain Leprest, dans un spectacle intitulé Mec !, titre éponyme d’une chanson de 1986, par laquelle le spectacle commence. Il fallait un certain culot pour déclamer du Leprest (et non pas le chanter), cinq ans tout juste après sa mort, dans cet historique festival de chansons, où il avait coutume de venir.

« Mec, tu dis jamais rien et moi je cause, je cause

Quand j’ai rien à te dire, je te parle de tout

J’fais comme si ton silence racontait la même chose

On préfère les muets quand on a du bagout... »

Tout de noir vêtu, au milieu d’éclairages minimalistes le laissant la plupart du temps dans la pénombre, la voix de Terreton occupe la scène, simple, incisive, chaude, profonde. Envoûtante. La plupart du temps, seule une ampoule éclaire son visage. Comme une étoile scintillant dans le ciel sombre de Barjac. On ne voit qu’elle, on n’entend que lui. Et cette chanson d’un bavard assis dans un bar en face d’un silencieux semble être l’exacte réplique d’un des plus grands comédiens actuels déclamant les textes d’un des plus grands poètes contemporains disparus...

« T’as beau êtr’ silencieux, j’entends quand t’es pas là »

Et l’on se dit que Torreton a vu juste en démarrant par cette chanson-là ! Torreton et Leprest partagent quelques connivences, en particulier celle d’être tous deux originaires de Rouen. Impensable le nombre de fois où il est question de pluie dans les textes d’Allain. Est-ce pour cela que le ciel de Barjac finit, après plusieurs tentatives avortées, par se vider sur la scène et les gradins au beau milieu du spectacle, joué en plein air ?

« Il pleut sur la mer et ça sert à rien

A rien et à rien, mais quoi sert à quoi ?

Les cieux c’est leur droit d’avoir du chagrin

Des nuages indiens vident leur carquois

C’est l’été comanche sur la Manche » (2)

A croire que la mer se pisse dessus, le percussionniste a quitté la scène, laissant Torreton seul sous des trombes d’eau. Les mains dans les poches de son paletot rimbaldien détrempé, le col relevé tel un gardien de phare sous le déluge, il défie les dieux et le Maître en son royaume, jusqu’à la fin de la chanson... avant de devoir s’incliner.

Six jours plus tard : bilan des festivités. Malgré deux orages, une programmation renouvelée accordant une place prépondérante à la jeune génération (à suivre particulièrement : Liz Van Deuq dans un magnifique spectacle piano-voix décalé, et Ben Mazué, 33 ans et une belle maturité). Un public nombreux, partiellement rajeuni. Un style sobre sachant mettre en avant le travail des bénévoles organisant ce festival. Le premier tour de piste du très discret et souriant nouveau directeur artistique, Jean Claude Barens est un succès. Le pari des mutins d’octobre semble bien être gagné. Le Coup de Barjac peut entrer dans l’histoire !

Christian LEJOSNE

Message personnel à Jean Claude Barens : merci de reprogrammer le spectacle Torreton, l’an prochain… de préférence un paisible soir d’été !

(1) www.barjacmenchante.org

(2) Il pleut sur la mer, Paroles d’Allain Leprest, 1994

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