La maison d’enfance de mon père

vendredi 23 octobre 2015
par  Christian LEJOSNE
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Je me souviens de la voiture à pédales que je conduisais dans l’allée de jardin de la maison de ma grand-mère maternelle. Je crois qu’elle était bleue.
Au bout de l’allée, je me souviens qu’il y avait un arbuste que mes tantes et ma grand mère appelaient boule de neige et qui fleurissait au printemps. De jolis pompons blancs, un peu comme du lilas mais de forme ronde, la forme d’une boule de neige. Je trouvais cela magique et j’étais content lorsque ma grand-mère en cueillait un bouquet et l’offrait à ma mère. Dès le lendemain malheureusement, les petites fleurs blanches qui composaient chaque boule tapissaient la table sur laquelle ma mère avait disposé le vase, formant comme une couche de neige fraîchement tombée.

Je me souviens des cerises à l’eau de vie que ma grand-mère sortait de sa réserve pour les grandes occasions – anniversaire, nouvelle année ou visite impromptue. Je me souviens qu’une fois – j’avais six ou sept ans – j’en avais avalées plus qu’il n’en fallait. Les adultes présents disaient que j’étais saoul. Moi, j’avais simplement l’impression d’être joyeux. Je me sentais sans limite.
Je me souviens d’un petit fauteuil en bois que mes tantes m’avait offert. Je me souviens plutôt de la photo où l’on m’y voit, assis devant la maison de ma grand-mère.
Je me souviens des longs dimanches passés chez ma grand-mère, seul au milieu des adultes – mes frères, plus âgés que moi faisant de l’athlétisme séchaient royalement ces après-midis, ne venant nous rejoindre que pour le repas du soir. Je jouais seul, fabriquant des maisons avec des briques en plastique blanc qu’on n’appelait pas encore Légo. Ou bien, piochant des jeux pour enfants dans le journal – La Voix du nord, qu’un distributeur glissait consciencieusement chaque matin dans la boîte aux lettres de ma grand-mère – des jeux du genre reliez tous les points numérotés de 1 à 49 et découvrez l’animal que La Fontaine a rendu célèbre dans une de ses fables.
Je me souviens de la vieille machine à écrire que ma tante avait rapportée de son travail et qui trônait sur un petit bureau dans la pièce de devant. Machine sur laquelle j’eus plaisir à taper mes premiers textes, particulièrement la liste, par pays et par continent, des timbres de ma collection, liste que j’avais un malin plaisir à mettre à jour, de façon régulière, une à deux fois par an. Je me souviens que le ruban, de deux couleurs, se soulevait mécaniquement lorsque l’on actionnait un bouton afin que le texte fut écrit en rouge. Je me souviens que la machine émettait un petit gling en fin de course, informant le dactylographe qu’il devait ramener le chariot à son extrémité gauche, en poussant de l’index de la main droite une manette qui, par la même occasion, faisait tourner la feuille d’un interligne ou de deux, selon un choix précédemment opéré.

Si j’écris ces souvenirs d’enfance de la maison de ma grand-mère, c’est parce que cette maison, qui a hébergé la famille de mon père depuis sa construction au début du vingtième siècle, va être vendue. Jusqu’alors, je m’y rendais, machinalement, pour voir ma grand-mère lorsque j’étais jeune, plus récemment pour visiter mes tantes. Mes deux tantes, qui vécurent dans cette maison toute leur vie, sont toutes deux décédées cette année, Marthe en février, Marie-Louise ce mois-ci. Je prends conscience seulement maintenant que c’est dans cette maison que se sont déroulés tant d’événements familiaux, heureux et malheureux, qui, d’une façon ou d’une autre, ont influé sur ma vie. Je prends surtout conscience que, plus jamais, je n’irai, machinalement, me promener dans cette rue.

Pour fêter les quatre-vingt ans de mon père, j’avais écrit un petit livre intitulé Le fil, rassemblant ses souvenirs d’enfance et les miens. Les chapitres alternaient sa vie et la mienne montrant parfois la continuité, parfois l’écart vécu entre nos deux générations. Mon père disait de cette maison : « J’ai toujours habité rue Jean Jaurès pendant toute mon enfance. Depuis, la rue a été renommée Jules Guesde, je ne sais pas ce que la mairie lui reprochait à Jean Jaurès... C’est un lotissement de onze maisons identiques de chaque côté de la rue.  » Et un peu plus loin, relatant la mort de son père, lorsqu’il avait une dizaine d’années : « Mon père est mort de tuberculose. A cette époque-là, on ne savait pas soigner comme maintenant. Quand il est revenu de cure, ça ne s’était pas guéri. A sa mort, la maison a dû être désinfectée. Des boîtes percées avec quelque chose qui s’en évaporait ont été mises dans toutes les pièces. On les a conservées longtemps dans le grenier.  »

Ma tante Marie-Louise, à qui j’avais offert un exemplaire du livre, avait pris la peine de corriger les erreurs qu’elle y avait repérées. Sa vieille machine à écrire ayant, depuis longtemps, rejoint au grenier les vieilles boîtes de désinfectant, c’est sur une feuille de papier d’écolier qu’elle avait noté ses commentaires, de sa belle écriture régulière de secrétaire-sténo-dactylo. Dans la marge, elle avait inscrit le numéro des pages du livre correspondant à ses remarques. Si je réédite un jour ce livre, sûr que je tiendrai compte de ses corrections.


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