à la chaine

mardi 9 septembre 2014
par  Paul MASSON
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Le 5 septembre 1969, je suis embauché comme manœuvre chez Beillard, une entreprise de cartonnage. Elle fabrique des tubes en carton pour l’industrie. Le temps de travail est de quarante-sept heures par semaine. Il s’organise par postes : une semaine de 5h30 à 13h30 ; la semaine suivante, de 13h30 à 21h30. Le samedi, nous terminons à 19h.

Voici deux extraits de mon journal relatant ma première journée de travail.

« Ce vendredi 5 septembre à 13h15, j’arrive devant le portail de l’usine. J’ai dans un sac un casse-croûte et mes bleus. Le garde me reçoit. C’est un homme de la cinquantaine passée. Il me conduit à la pointeuse, me montre un carton sur lequel est écrit mon nom et un numéro. Il dit :
“Chaque fois que tu arrives et que tu pars, tu pointes.”
Il me conduit ensuite vers une grande machine toute proche de la pointeuse et dit :
“C’est là que tu travailles, avec lui !” Il me montre un jeune homme de vingt-quatre ou vingt-cinq ans.
Je demande :
“Où est-ce que je me change ?
- Tu te mets là !”
Il désigne un cagibi en planches construit dans l’atelier, tout près. Je m’arrête avant d’entrer. C’est un cachot. Une odeur acre s’en dégage. Trois hommes sont en train d’enfiler leur bleu de travail dans la pénombre. Il n’y a pas d’éclairage à l’intérieur. La faible luminosité du lieu arrive de l’atelier par la porte ouverte. A terre, pêle-mêle, de vieux papiers, des chiffons sales. Je dis un “bonjour” de formalité. J’entre, cherche un porte-manteau. Il y en a cinq, tous sont occupés. Je fais comme le jeune qui est là, j’accroche mon blouson, mon cache nez et mon pantalon à un clou fixé dans la palissade. Pour me changer, je me retiens au mur, bouscule un peu mes voisins. La pièce où nous sommes mesure moins de cinq mètres carré. Je suis gêné par la promiscuité, eux aussi probablement. Deux autres hommes entrent.
Mon bleu enfilé, je sors du “vestiaire”, mon casse-croûte à la main.
Je suis là jusqu’à 21h30.