La chambre du second

fiction
vendredi 24 juin 2011
par  Christian LEJOSNE, Juliette WILLERVAL, Paul MASSON, Yvan VERSCHUEREN
popularité : 17%

Écrit à Faugère (Dordogne) lors d’un atelier d’écriture animé par Nicole Dupuis

La proposition d’écriture : 
- Choisir une photo avec titre et début d’histoire
- Continuer l’histoire sur une dizaine de lignes

- Puis prendre 4 cartes postales de personnage au hasard, en choisir une
et continuer l’histoire en introduisant le personnage.
- En choisir une autre de lieu
et terminer l’histoire en introduisant le lieu.

Yvan, Paul, Christian et Juliette ont choisit la même photo de départ son titre : la chambre du second

Voici les 4 textes :

Tout a commencé quand quelqu’un a laissé la fenêtre ouverte. Le jour pointe à peine. La fraîcheur matinale fait trembler les rideaux. Un parfum d’herbe coupée envahit la chambre N°7 de l’hôtel du lac bleu. Tout dans la pièce est vieillot : les meubles, des années trente, peut-être plus, la tapisserie chargée d’oiseaux et de lierre entrelacé, le lavabo aux angles vifs et robinets en croix, tout cela respire le vieux et le propre. Le lit est bon, c’est le principal ; et pour le prix, je ne me plaindrai pas. Tout à coup, il me semble voir un des oiseaux de la tapisserie bouger, puis un autre et encore un … En quelques secondes, tous disparaissent par la fenêtre laissant le lierre comme seul décor.
On a beau être crédule, il y a des fois, on se pose des questions sur sa santé mentale ! Je me lève, je tâte le mur pensant trouver la trace des volatiles disparus, mais en vain : tout est lisse, à croire qu’ils n’ont jamais existé. Je m’assois au bord du lit, abasourdi, le regard fixé sur le mur vide aussi vide que ma cervelle. On frappe. Comme un automate, je vais ouvrir.

Changement d’image
- J’en étais sur ! Vous avez ouvert la fenêtre ! Gronde un personnage bizarre qui, d’un geste autoritaire, m’écarte et se plante devant le mur aux oiseaux. Ce type est drôlement vêtu on dirait un peintre du 17ème siècle, Vermeer ou Michel Ange... Il tient sa palette de la main gauche et de l’autre, il brandit un pinceau menaçant vers la fenêtre .
- Fermez-moi ça ! Aboie-t-il.
Ce que je m’empresse de faire en tremblant.
- A cause de vous, il faut que je recommence tout ! Ajouta-t-il bougon ; et il s’assoit face au mur.
Timidement, j’ose un « Vous en avez pour longtemps parce que j’ai... »
Une semaine ! Tranche-t-il, puis après une brève réflexion : mais je vais vous trouver une autre chambre, suivez-moi.

Changement d’image
Moi qui suis plutôt cartésien, pourquoi n’ai-je posé aucune question ? Je ne sais pas et ne cherche plus à savoir.
Nous étions à présent dans la cour de l’hôtel. L’homme se mit à me tutoyer.
- Tu vas voir, tu seras encore mieux logé ! C’est plus calme... Comment tu t’appelles ?
- Heu...Yvan, je m’appelle Yvan...
- Tu m’as l’air d’un bon gars yvan ! Moi, c’est Mike.
- Mike ?..
- Mike Angel pour te servir. Tiens, voilà ta nouvelle demeure ! Lança-t-il en désignant une petite maison en pierres sèches, sorte de dépendance de ferme ou maison de berger posée au milieu d’un paysage paradisiaque.
- Incroyable ! La maison de mes rêves !
- Dans celle-là, tu pourras laisser les fenêtres grandes ouvertes, y a pas d’oiseaux ! Bon ! C’est pas tout ça, mais faut que j’y aille !
Il s’éloigne en chantonnant : « Quelque chose en nous de tennessee.. » Puis se retournant il crie :
 « France-Inter, il est 8 heures, voici nos informations ! »

Yvan

***

Tout a commencé quand quelqu’un a laissé la fenêtre ouverte en quittant la chambre aux oiseaux. C’était une fenêtre à guillotine comme on en trouve encore dans les vieilles demeures écossaises.
Il profita d’un coup de vent pour pénétrer dans la pièce sans que personne ne puisse l’entendre. Les oiseaux sur la tapisserie devinrent blancs de terreur, mais ils ne purent ni s’enfuir ni donner l’alerte. Si ce n’est la couleur des oiseaux, rien n’avait changé. Dans la chambre du manoir, un silence et un ordre parfait régnaient toujours. Jusqu’à la tombée de la nuit, personne n’entra dans la chambre. Les oiseaux de la tapisserie reprirent progressivement leurs couleurs et lorsque Chrysis vint se coucher, elle ne remarqua que la fraîcheur du soir. Elle ferma la fenêtre, souffla la bougie et s’endormit. On ne sut pas ce qui se passa ensuite.

Le chef de gare raconta à la police que, vers deux heures du matin, il s’était levé pour boire un verre d’eau. Passant devant la fenêtre, son attention fut attirée par une forme humaine dans la rue. Il lui fallut du temps avant de réaliser ce qu’il voyait tant la scène qui se déroulait sous ses yeux était inattendue. En face de sa maison, entre la rue déserte et la gare, une femme était là, immobile, les yeux clos, absente à tout. Le peignoir de soie accroché à son bras ne couvrait pas son corps nu. Elle tenait à la main une bougie allumée posée sur un bougeoir.

Chrysis ne reprit jamais ses esprits. Elle ne reconnut plus personne, ni ses parents, ni ses amis, ni rien de ce qui avait fait sa vie auparavant. Elle fut internée dans un hôpital psychiatrique. Habituellement, elle était silencieuse, absente au monde. Parfois, elle entrait dans des phases de tourments extrêmes. Alors, une impression de terreur se lisait dans ses yeux. Elle se roulait sur elle-même, criait, pleurait. De l’écume blanche sortait de sa bouche. Dans son délire, elle parlait de naufrage, de mer en furie, de rochers pointus, de tempête. Les crises terminées, elle retrouvait son silence et son état prostré.

Elle mourut 16 ans plus tard. On ne sut jamais ce qui s’était passé.

Paul

***

Tout a commencé quand quelqu’un a laissé la fenêtre ouverte… C’était la première fois que je mettais les pieds dans cet hôtel de seconde zone. En arrivant, je n’avais pas trouvé âme qui vive. Après quelques minutes d’attente, je m’étais glissé derrière un comptoir de bois laqué installé dans l’entrée et j’avais attrapé la seule clé qui était accrochée à un vieux clou rouillé. Son anneau indiquait le numéro « 13 » . Le taulier avait une drôle de logique : bien que commençant par un « 1 », la chambre se situait au deuxième étage. Un courant d’air frais fit s’envoler mon chapeau lorsque je poussais la porte de la chambre. J’avançai jusqu’à la fenêtre et la refermai d’un coup sec. De constitution fragile, je suis facilement sujet aux angines.

Le drap du lit s’agita en tous sens jusqu’à ce qu’une forme vaguement humaine finit par s’en extirper. C’était un homme dans la cinquantaine avec un ventre rond qui lui descendait sur les jambes. Il était vêtu à la manière des domestiques du moyen âge et portait un chapeau à larges bords lui cachant la moitié du visage. Devant mon embarras, ses bajoues s’écartèrent laissant apparaître un large sourire édenté. « Salut l’ami » dit-il en se mettant debout sur le lit. Bien que petit, installé de la sorte, il me dépassait d’une tête. J’allais lui demander ce qu’il faisait dans ma chambre quand un grand escogriffe, long comme un jour sans pain, s’afficha dans l’embrasure de la porte que j’avais laissée ouverte. « C’est à vous ce chapeau ? » demanda-t-il d’une voix de fausset. Mon regard passait alternativement de l’un à l’autre. Leurs silhouettes me rappelaient vaguement quelque chose. Je ne sais si vous avez déjà vécu ce genre de situation : se retrouver face à une personne dont on a conservé le souvenir sans bien savoir où on l’a rencontrée, ni s’il s’agit de quelqu’un de réel ou le visage d’un acteur dont les traits vous sont restés gravés pour une raison qui vous échappe…

« Pas de souci, l’ami » reprit le grand gaillard, pénétrant d’un pas alerte dans la chambre tout en jetant mon chapeau sur le lit. Il retira ses gants et me tendit une main aux longs doigts délicats. « Appelez-moi Don Quichotte, et lui Sancho » dit-il donnant un coup de menton dans la direction du gros qui se balançait sur ses jambes, toujours debout sur le lit. « Nous arrivons d’Espagne par le chemin de Compostelle. Nous traversons incognito les Cévennes en route pour la Suisse. Il y a là-bas des moulins aux coffres gorgés de lingots. Nous ne serons pas trop de trois. Veux-tu être des nôtres ? »

Christian

***

Tout a commencé quand quelqu’un a laissé la fenêtre ouverte.
Ce jour-là, un petit vent léger s’invitait comme un jeu dans la chambre du second. Il faisait danser les oiseaux du papier peint et en s’éveillant, Anatole sentit enfin l’odeur du printemps. Un parfum mêlé de sureau et de menthe, avec un je ne sais quoi d’insistance et d’entêtement qui l’appelaient. Il se sentait différent, nourri intérieurement de cette respiration qui venait du dehors en faisant voltiger ses rideaux.
Alors, contre toute attente, il roula sur le côté, usa de toutes ses forces pour s’asseoir sur le lit et poussé par ce souffle nouveau, parvint à poser ses deux pieds sur le sol dans un élan inespéré. Il s’arrêta, ravi, face à la fenêtre, reprit une bouffée de cet air malicieux qui lui donnait des ailes. Combien de temps était-il resté sans pouvoir se trouver face à cette fenêtre, sans pouvoir embrasser l’ensemble du paysage ? De son lit il n’avait vu, tout ce temps, qu’un morceau de ce que pouvait lui offrir cette fenêtre : le tronc du gros chêne, le toit du poulailler voisin, et un tout petit triangle de ciel changeant de couleur selon la saison.
Ce jour-là était différent, il avait un goût inconnu, pour lui, le second, assigné à résidence dans la chambre du second.
C’est alors que des pas sur les graviers de la cour le tirèrent de son éblouissement béat. Des pas rapide, serrés, emprunts de la folie de l’enfance, risquant de trébucher à tout moment, sautillant comme un chant extorqué aux petits cailloux. Le petit Félicien, sûrement, son petit frère, le troisième, qui revenait à toute allure une baguette sous le bras, fier d’offrir à ses parents le fruit de sa course. Quelle cavalcade ! Quelle ivresse du mouvement dans ses pas fébriles et insouciants !
Anatole se demanda si, enfin, le bonheur de regarder cette course effrénée dont il avait tant de fois écouté l’écho avec tendresse, allait lui être donné ce jour-là. Alors, poussé par l’énergie de ces pas intrépides, par leur musique entêtante et enivrante, dans un effort surhumain et irréel, il se mit debout dans l’encadrure de la fenêtre.
Félicien, saisi par cette silhouette incongrue qui se dressait à la fenêtre, s’arrêta. « Papa ! Maman ! Il y a quelqu’un debout au second ! » Son sourire s’était changé en une expression incertaine, hésitant entre incompréhension, méfiance et ravissement. Puis les yeux, pétillants la seconde précédente, se remirent à briller, d’une lueur plus forte encore et comme illuminés d’un miracle : « Papa ! Maman ! C’est Anatole ! »
Il se précipita dans la maison et, alors qu’il l’entendait monter les marches quatre à quatre, toujours du même pas impatient, redoublant de précipitation et de hâte, Anatole leva les yeux : il les laissa quitter les graviers de la cour, pour se poser sur le tronc du gros chêne et monter, monter dans une ivresse infinie jusqu’à sa cime enfin réapparue : c’était comme si l’arbre retrouvait tout son sens, son unité, des racines au ciel.
Et c’est là, au-dessus de l’arbre, lorsque le regard dépassa cette imposante chevelure végétale, que le triangle de ciel s’élargit de tous les secrets jusque la voilés, c’est là, oui, qu’il le vit, dans une même embrasure du regard : l’océan tout entier avec son horizon vertigineux et le phare, dressé, devant, contemplant tout cela comme lui, enfin debout, contemplant l’impossible. Au moment où son petit frère ouvrit la porte de la chambre, il se retourna, le visage en larmes, et lui apparut, grand frère pour la première fois, pour la première fois aussi fier et protecteur que le phare de Cordouan.

Juliette