L’histoire sous ma plume

dimanche 18 avril 2010
par  Christian LEJOSNE
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Il est temps que je vous fasse un point sur mon projet de livre, car je suis maintenant trop avancé pour ne pas aller au bout. Plus une minute pour écrire sur d’autres sujets. Vous avez vu, mes chroniques s’espacent… des mois de silence s’installent entre nous. Ca n’est pas que je vous délaisse, non. Je suis tout simplement englouti dans une recherche qui a pris possession de moi, qui occupe tout mon temps d’écriture depuis le 11 novembre 2008. Vous rendez-vous compte ?

Je ne l’ai moi-même remarqué que dernièrement : j’ai commencé un 11 novembre à écrire un livre sur mon grand père qui avait fait la guerre 14-18. Ca ne s’invente pas ! Ca ne peut être une facétie d’auteur. C’est l’histoire qui s’écrit sous ma plume. Pas la grande histoire avec une grande Hache, non, l’histoire minuscule de gens minuscules – pour paraphraser Pierre Michon. C’est la mienne, celle de mes aïeux, celle du sang qui coule dans mes veines. Pas besoin d’écrire à l’encre rouge pour qu’elle m’impressionne. Donc, une histoire à raconter : une quête, une enquête concernant la vie menée par mon grand père, né en 1896 et mort en 1974. Trois quart du siècle dernier, décomposé en trois parties inégales en durée (de la naissance à dix ans, de dix à vingt et un ans, de vingt et un ans jusqu’à sa mort), rendues égales en nombre de chapitres : vingt six pour chaque partie. Vingt six comme le nombre de lettres de l’alphabet que l’on peut à l’infini composer pour construire autant de phrases toujours renouvelées. Trois fois vingt six, soit soixante dix huit chapitres, dont soixante cinq sont approximativement en place. Ma méthode est simple et maintenant rodée – de temps en temps, toutefois, ça grippe encore. Une première écriture placée dans un fichier appelé « journal » parlant de tout et de rien, dans le désordre le plus total : réflexions, hypothèses, questions sans réponses, réponses auxquelles manquent la plupart du temps les questions, résumés de livres, de visites, d’entretiens, d’échanges, dans le sujet et hors sujet. Opérer un premier filtre en recopiant dans un second fichier appelé « journal Marcel » ce qui relève explicitement de ma démarche de recherche, tenu chronologiquement. Une sorte de garde-manger où stocker tout ce qui pourra être donné à manger au projet de livre qui donne lieu à un troisième fichier appelé « Marcel-le livre » sous la forme précédemment explicitée : trois parties de vingt six chapitres. Ce troisième fichier constitue le deuxième filtre. Le troisième consiste en une relecture réécriture. Le livre s’écrit à peu près selon la chronologie de la vie de Marcel : la partie I a été élaborée avant la partie II. La plupart des chapitres manquants relève aujourd’hui de la partie III. Ecrire n’est qu’une infime partie du travail. Avant l’écriture, il y a les recherches, sans garantie de succès. Cela forme un constant va-et-vient. Imaginez la mer : le flux et le reflux, les marées, parfois une marée d’équinoxe noyant tout sur son passage, d’autres fois, la mer étale, silencieuse. Au milieu de cette immensité, prendre régulièrement de grandes inspirations. La visibilité est souvent courte, la navigation à l’aveuglette et sans phare. J’avance pas à pas dans le brouillard du nord. Plus j’avance et plus je découvre l’étendue de ce qu’il me faudra parcourir. Le temps joue pour moi et je n’y mets pas d’autre enjeu que le plaisir du travail bien fait. J’avance à tâtons. Je tente de refaire le parcours de celui qui fut mon grand père. Son chemin de vie, intime, familial, social. Et chaque fois que mes pas parviennent à marcher dans les siens, je mesure combien sa route, au final, ressemble à la mienne. Comme si malgré les générations, malgré les siècles qui s’écoulent, chaque homme devait refaire le même trajet le menant jusqu’à lui-même. Comme si nous n’avions rien appris de nos prédécesseurs, comme si l’histoire devait invariablement se répéter, repassant toujours les mêmes plats dont on croyait naïvement avoir inventé la recette : apprendre, grandir, transmettre, se séparer.

Le bruit des bombes que j’entends éclater ne provient pas d’Irak, mais du champ d’à-côté. L’enfant qui appelle sur le boulevard, c’est Marcel courant rejoindre sa mère qui marche d’un pas décidé. Vers où ? Je cours les salles d’archives, les bibliothèques, mon portefeuille est gonflé de multiples cartes d’adhésions, ma bibliothèque se charge de livres aux sujets qui m’étaient jusqu’alors étrangers : naître en maternité au XIXème siècle, la vie des instituteurs du début de la République, une biographie de Louis Aragon, une autre d’un militant communiste ayant déserté le PCF… Je surfe sur des sites Internet, y achète des livres dont le tirage est depuis longtemps épuisé, reçois des alertes d’associations de généalogistes, échange de maigres mais cruciales informations avec des arrières petits enfants dont les arrières grands parents ont connu mon grand père. Je découvre des gens qui m’étaient inconnus et que désormais j’accompagne. Je mange à leur table, écoute leurs conversations, lis par dessus leur épaule leur correspondance tracée d’une main malhabile sur du papier jauni : « Qu’il est doux pour l’enfant de profiter du renouvellement de l’année pour exprimer toute l’affection qu’il ressent pour ceux qui l’aiment et le comblent de bienfaits. Je ne puis vous dire combien je suis heureux de pouvoir vous dire, en ce jour, combien je vous suis reconnaissant et je n’ai guère de moyen, pour vous prouver toute ma gratitude, ma prompte obéissance de tous les instants, ma grande docilité. Tels sont les engagements auxquels je ne manquerai pas à l’avenir. » C’est Marcel qui m’écrit, il a treize ans et nous en sommes 1909.

Christian LEJOSNE


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